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  • III - La France et la frontière avec l'Algérie (1837/1902)

    Moulay El Hassan et les trbus :

     

    A son arrivée au pouvoir le sultan Moulay El Hasan(Hassan premier) hérita une situation intérieure très complexe, que résumaient les pressions de plus en plus grandes des puissances européennes et les réactions variées des Marocains. Le sultan pouvait-il dans ces conditions opérer la justice ouverte de son pays vers l’Europe, tout en tenant compte de la résistance de l’opinion publique Marocaine et en lui évitant la main-mise exclusive de l’une des puissances.

     

    Les tribus passées en revue ci-dessus représentaient sans doute, la partie de cette opinion publique la plus concernée et la plus sensible au dilemme. Eloignées des centres de décision, et en contact direct avec les Français de l’Algérie Française, pouvaient-ils rester dans le devoir face à une puissance qui ne cachait pas son intention d’étendre son influence au plus loin qu’elle pouvait. A côté de ces grandes tribus,dont l’importance tenait essentiellement à leur prépondérance numérique et par conséquent militaire, se mouvaient d’autres petites tribus en nombre de cavaliers et de fantassins, mais non moins importantes par le rôle politique qu’elles jouaient.

     

     Il est vrais que dans cette période de transformation, décrire avec fidélité les rapports entre le Makhzen et les tribus, n’est pas aisé. Et si l’abondance de la documentation d’origine française, disponible à ce sujet, ne facilite pas cette tâche, elle remplace, toutefois, largement, les archives marocaines, lacunaires et difficilement exploitables.

     

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    Le sultan et son Makhzen :

     

     Quelle idée, les Marocains de la seconde moitié du 19° siècle, se faisaient-ils d’eux-mêmes, de leur pays et de leur institution ? L’état actuel de la recherche historique ayant pour objet le Maroc, ne permet pas de donner une réponse satisfaisante si on fait appel aux seuls témoignages écrits et oraux des Marocains. La connaissance du pays reste encore, pour une grande part tributaire de l’image que les Européens de l’époque en donnèrent.

     

     Il est vrai qu’il a fallu des études plus récentes, pour corriger les jugements hâtifs, restituer au pays son originalité, reconnaître les grands changements qui l’affectaient et identifier les principales forces sociales et politiques qui s’y affrontaient. Néanmoins le lien qui unissait à l’époque, progression de la connaissance du Maroc et influence  européenne, donne un double intérêt historique aux observations  européennes. D’abord en tant que témoignages contemporains des événements et en suite en tant que vision des personnes impliquées dans l’élaboration de ces événements.

     

    Les mesures administratives :

                              

    Au début de son règne, le sultan Moulay El Hassan maintint au Touat la relative autonomie,devenue une tradition depuis Moulay Sliman. Et à en croire une lettre des habitants de Ain Saleh aux voyageurs européens, le sultan envoyait régulièrement des émissaires pour régler leurs affaires. Mais la crainte de voir arriver les troupes françaises grandissait, en 1887 une délégation importante des habitants du Hoggar et de Ain Saleh, conduite par Moulay Ali Ben Ismail se rendit auprès du sultan à Fès. Elle lui fait part de son inquiétude et fut accompagnée à son retour par un secrétaire de la cour chérifienne muni d’une lettre sultanienne pour les tranquilliser. D’autres délégués escortés se succèdent à la Saoura, au Touat tandis qu’en 1890, le premier gouverneur (khalifa du sultan) fut nommé à la tête des territoires de Touat et  la Saoura réunis. Une année plus tard le sultan Moulay El Hassan informa les habitants de Touat et la région de  l’arrivée prochaine chez eux de son délégué qui devait s’entretenir avec eux au sujet de la nouvelle formule administrative.  Le contenu de la lettre est significatif :

     

     «A nom de Dieu seul. Nos serviteurs bénis gens de Gourara et de l’ensemble des ksour, des gens de Touat…Et ensuite nous vous avons envoyé, parmi les notables de notre cour chérifienne des délégations et des émissaires, et nous vous avons réservé parmi nos provinces et sujets un intérêt particulier sachant que vous êtes de bien et de religion, remplissant constamment votre devoir d’obéissance selon les prescriptions de Dieu. Vos actions étaient faciles et  affaires entièrement fructueuses. Aussi  nos ancêtres, que Dieu les sanctifie, se contentaient-ils, vu la solidarité de votre foi et votre fraternité en Dieu, de vous laisser faire selon votre choix.


    «Notre maître et ancêtre Moulay Slimane,que Dieu sanctifie son âme, s’était limité à envoyer des Oumana pour recueillir vos Zakat et A’chour, par pitié envers vous quand il a apprit les exactions par les gouverneurs à notre encontre. Cette démarche fut maintenue, du vivant de notre ancêtre et maître Moulay Abderrahmane, que Dieu sanctifie son âme, et poursuivie, du vivant de notre maître et père Dieu inonde ses reliques de sa miséricorde.

    «Lorsque Dieu nous a chargé de vos affaires, nous avons suivi la même voie, et votre situation continuera comme le désirons.


    «Maintenant  pour que votre engagement se renouvelle, nous vous envoyons notre secrétaire, le sage conseiller Taleb el-arbi ben el-Moqdem el-Meniai,  l’un des notables et brillants savants de notre cour chérifienne. Nous lui avons donné des instructions verbales qui feront votre bonheur.  N’épargnez point d’effort à vos conformer aux recommandations de notre messager chérifien afin que vous gagniez la bénédiction de Dieu, de son prophète et la notre.  Seuls réussissent ceux qui obéissent à Dieu et à son prophète et craignent Dieu. Salut (wa assalamou a’alaikoum,wa rahmatou Allah)…le 24 choual 1308. »

                         

    Le Taleb el-arbi el Meniai état chargé de la même mission auprès des Doui Meniai, Ouled Jerir et de la Zaouia de Kenadsa. Une fois sa tourné de Touat terminée, il prit le chemin de retour accompagné de Ba-Hassoun Touati et de cadeaux pour le sultan  Celui-ci nommait les caïds, les cadis, et les nakib des chorfas de tous les districts des oasis, et envoya les insignes de l’investiture avec Ba-Hassoun,  qui fut lui-même nommé caïd avec pour charge extraordinaire, de centraliser les impôts de toutes les oasis de la Saoura.  Cette reprise en main, rendue nécessaire pour éviter les complications diplomatiques, ne manquera pas de provoquer des protestations du gouvernement français.

     

    Les mesures politiques :

     

     La réorganisation administrative et judiciaire opérée par le sultan Moulay El Hassan, fut sans doute dans les circonstances exceptionnelles qui l’entouraient, un acte politique dont le but était d’enrayer la pénétration française au Sahara Marocain oriental.  Mais il se devait aussi, de tenir en échec l’influence du  Chérif d’Ouezzan, qui s’était mis depuis longtemps au service  de cette pénétration, de redonner davantage d’assurance aux Touatas inquiets, et en outre de mener une action diplomatique qui aboutirait à une reconnaissance internationale de ses droits souverains sur le Touat.

     

    Tout d’abord le voyage de Chérif d’Ouezzan aux oasis, préparés par les Français à Alger, aboutit à un échec. Les ksouriens avaient porté plainte contre lui au sultan qui les félicita par la suite, d’avoir refusé de l’accueillir. Mêle le caïd de Timmi, fidèle au Chérif, se démarqua de lui, se qui ne manqua pas de causer une déception à Alger.

     

     Prise d’Ain Salah :

     

    L’équipage du professeur français Flamand, escorté par 100 goumiers commandés par le capitaine Pein, partit d’Ouargla vers la mi-décembre 1899 et arriva aux environs de Ain Salah le 28 du même mois. Quelques jours auparavant, les habitants du ksar prévenus de l’arrivée de la troupe écrivirent au chef de la troupe une lettre qu’ils placèrent à Hassi el-Moungar. La lettre était une mise en garde : «  La limite à parti r de Hassi el-Moungar et de la région environnante formée par le Sahara. Ne la dépassez point car vous empiéteriez sur le territoire appartenant à la souveraineté du sultan, notre seigneur et maître Moulay Abdelaziz que Dieu lui accorde la victoire. Si vous empiétez sur ce pays ne blâmez que vous-même ». La confrontation était inévitable.

     

     Elle eut lieu le jour même, et le lendemain la colonne française vint camper à l’intérieur de Ain Salah dont le caïd el-Haj el-Mehdi ould Ba-jouda était parmi les victimes. Le 5 janvier 1900 eut lieu un combat meurtrier à Deghamcha, ce qui décida le 19° corps à envoyer en renfort 150 tirailleurs sahariens et 150 goumiers commandés par un  capitaine français. Cependant, l’autorisation d’envoyer cette colonne ne fut demandée au département de la guerre d’Alger que le 6 janvier 1900.  Vers la fin du moi, le capitaine français Baumgarten donna un premier assaut à Ain Lghar en dépit de l’ordre du ministère de la guerre de la métropole de limiter l’occupation à Ain Salah.  Entre-temps, à Alger les messages de félicitations se succédaient au gouvernement général. Les premiers furent ceux de la chambre de commerce d’Alger, le Syndicat commercial algérien et de la Société de géographie et d’archéologie d’Oran. Le professeur Flamand, quand  lui, était parti vers El-Goléa d’où il adressa un message au ministère de l’Instruction Publique que sa mission « ne suivait  plus les raisons d’ordre scientifique »

     

     Le combat d’Ain Lghar :

     

    Paris, tout en donnant l’ordre de ne pas étendre l’occupation au-delà de Ain Salah donna l’autorisation de former une colonne à El-Goléa destinée à parer aux éventualités. Ce fut la colonne de Tidikelt commandée par le lieutenant-colonel d’Eu.  Elle fut constituée par les 9° et 10° compagnies des 1ers tirailleurs algériens ; de la 4° compagnie du 2° bataillon d’Afrique ; du 1er escadron du 1erSpahis algériens ; d’une section de 80 de montagne et d’un détachement de Génie. Elle comprenait en outre un convoi de quarante jours de vivres porté par 1700 chameaux. Son départ d’El-Goléa fut échelonné sur trois jours ; les 25, 26, 27 février, de même son arrivée à Ain Salah s’étala entre le 14 et le 16 mars. De là, la colonne se dirigea vers Ain Lghar où elle arriva le 19 mars pour participer à l’un des combats les plus durs de l’épisode de la conquête de Touat. Les opérations commencèrent contre le ksar défendu par le Pacha si Driss Ben el-Kouri, à l’aube, et se terminèrent à trois heure de l’après midi avec le reddition du fonctionnaire chérifien.  A la fin  du combat, on compta 9 tués et 44 blessés dont un lieutenant français,du côté français, et entre 500 et 600 tués,100 blessés,450 prisonniers sans compter les femmes et les enfants parmi les ksouriens de Touat.

     

    Le lieutenant-colonel d’Eu parcourut ensuite la région sans encombre avant de rentrer à Ai Salah. Le rapport del’Etat-Major affirmait à cette occasion : «  A cette date nous pouvions nous dire les maîtres de Tidikelt  ». Mais la soumission des oasis ne pourrait être obtenue sans l’occupation des vallées de la Saoura et de la Zousfana au nord-Ouest du Sahara.

     

    L’occupation des vallées de la Saoura et de la Zousfana :

     

    Les vallées de la Saoura et de la Zousfana réunissaient Figuig et le sud Oranais aux oasis saharien. Cette position unique amena les connaisseurs de la région à exiger l’occupation dès les opérations de Tidikelt. Le général commandant le corps avait, pour sa part, soumis au ministère de la guerre, qui les approuva, les propositions suivantes : renforcer les garnisons  d’Ain sefra et de Jenien Bou-Rezg, établir un poste à  Zoubia, et porter en avant de cette oasis une colonne de protection jusqu’à ksar el Azouj (ksar la vieille). Ces  propositions correspondaient sur le terrain à l’occupation de la Zousfana. Effectivement, les mouvements des troupes commencèrent aussitôt, mais comme on craignait les rapides et meurtrières attaques des tribus de la région, notamment des Doui Meniai, le Gouverneur général de l’Algérie française ordonna l’occupation du ksar d’Igli dans le nord d’oued Saoura. Le 5 avril une colonne e 1775 hommes et 75 officiers prit la possession du ksar.

     

    Un mois après se fut le combat de Ain Lghar, pour lequel si Driss Ben el-Kouri avait rassemblé des combattants de tous les ksour « Ihamed ». Si Mohamed Ben Amor el-Marrakchi demeuré seul au commandement des oasis, essaya en vain de coordonner la résistance et finit par disparaître après l’occupation de Timimoun. Dorénavant le sultan n’aura plus de représentant aux oasis. Seules les tribus Beraber ayant vraisemblablement l’appui implicite de Moulay Rachid, oncle de Moulay Abdelaziz et khalifa du sultan au Tafilalet, opposeront une résistance. Le makhzen qui ne savait dans l’incapacité de soutenir une lutte armée, espérait-il obtenir l’évacuation de Touat par voie diplomatique ?

     

    Tout prête à croire qu’il en fût ainsi.  Le Makhzen ne pensait nullement à une confrontation militaire avec les troupes françaises. Le Tabor du caïd  Reha « Reha = militairement chef de bataillon » El-Mahboub el-Meniaï que le sultan envoya au Sahara, à l’annonce de l’avance française, avait l’ordre de ne pas dépasser ksar Abou-Aâm  à Rissani au Tafilalet. Par ailleurs, le souverain marocain convoqua les délégués de cette région et leur déclara : « Nous vous ordonnons de ne pas quitter vos territoires. .Nous avons soumis la question de Touat à l’appréciation des puissances européennes qui donneront leur avis ».  Le sultan voulait, en se faisant, éviter un débordement des hostilités de la part des tribus qui justifierait l’intervention  des soldats français à l’intérieur même des territoires incontestés. Son action dans ce sens fut en effet énergique. Après l’occupation de ksar Igli, il envoya le caïd El Glaoui au Tafilalet avec pour mission de «  surveiller les tribus et de détourner leurs regards du projet qu’elles ont conçu ». Le chérif El-M’rani envoyé dans la même région reçut mandat « d’empêcher même par la force les tribus voisines…de se livrer à des hostilités ».

     

    A cette même date le gouverneur générale de l’Algérie française remarqua avec étonnement que contrairement à ce qui se passait autrefois « le Maroc fait quelques armements à la frontière algérienne et parait vouloir y entretenir les troupes d’une façon permanente ». L’inventaire détaillé qu’il donna de l’état des troupes, de leur armements, et  de leur ravitaillement régulier, était certainement différent de celui reconnu une trentaine d’années plus tôt. Cette action chérifienne était, d’ailleurs bien vue du côté français. On y voyait des dispositions nouvelles à accepter une nouvelle frontière. Le Bulletin du comité de l’Afrique Française affirma même que la France « n’a aucune inquiétude à voir en ce moment du côté du Maroc qu’elles qu’aient été les apparences et (tout compte fait) ce pays ne semble pas devoir tomber comme on a pu le croire dans une des ces périodes d’anarchie formidable ». Le Bulletin continuera « à se faire croire que le Makhzen était derrière » les tribus quand celles-ci commencèrent à mener leurs attaques contre le Gourara. Ce que l’on craignait plutôt du côté français c’est que le Makhzen recherchait la protection d’une autre puissance. Mais on resta tout de même persuadé qu’à propos de Touat, personne n’avait la moindre intention de s’en mêler  « car nous aurions été obligés de ne tenir aucun compte des observations qui nous auraient été faites à cet égard », ajoutait avec conviction le bulletin de juin 1900.

     

    Cependant les responsables du 19° corps savaient que les colonnes françaises ne pouvaient s’enfoncer vers le sud sans avoir le flanc droit menacé par les Beraber.. En effet, à l’annonce des combats de Timimoun en mars 1901, les tribus du Sahara Marocain oriental et de la Dahra allèrent trouver le Khalifa du sultan au Tafilalet et lui annoncèrent qu’ils aller combattre les français. Moulay Rachid leur répondit qu’elles  «étaient libres de faire à leur guise ». A cette même date, les chorfas filaliens ( ?) qui se trouvaient à Marrakech s’approvisionnèrent en armes et en munitions et se répartirent en groupes avec l’intention de s’unir aux Aït Atta, Aït Izdeg , Aït Khabbach et Beni M’hamed pour une action militaire au Touat.  Le chef de la mission française au Maroc, rapporte qu’ «’ils ajoutent à cet égard, ils n’ont d’ordre à recevoir de personne, pas plus du sultan que de Moulay Rachid ». Un fossé venait de se creuser entre le Makhzen et les tribus, et la rebellion regagnait les esprits.

     

     Après l’occupation :

     

    L’occupation du Touat eut un grand retentissement au Maroc, dont le peuple ne considéra nullement que cette affaire comme «  une opération intérieure de l’Algérie française » Un professeur français chargé de mission qui était à cette date au Maroc dans le cadre de la mission don l’avait chargé le ministère  de l’Instruction Publique pour étudier « les monuments portugais et musulmans du Maroc » rapporta que le «  Makhzen est persuadé qu’après le Touat ce sera le tour de Tafilalet ». D’autre part, la crainte de voir la France étendre son occupation ser les territoires des Doui Meniai, Kenadsa, et Béchar le pousserait à demander une frontière et la placerait   « là où il voudrait la France ». IL remarqua aussi les soucis des fonctionnaires du Makhzen qui pensaient déjà à renouer de bonnes relations avec la France. Le gouvernement Marocain se résignait-il à accepter le fait accompli ?

     

     Ce qui est sûr c’est que l’Empire chérifien vivait une profonde crise. La mort de Ba-Ahmad avait ouvert la lutte entre les familles concurrentes pour dominer les rouages de l’administration Makhazénienne.  Cette lutte prit l’aspect d’opposition entre les partisans de l’appui de l’une ou de l’autre des puissances européennes. Etaient en course les familles les Gharnit , les Ben Slimane, les Güebbas et le M’nebhi dont les affinités n’étaient somme toute, pas stables. Cependant, Moulay Abdelaziz n’arrivait ni à s’imposer ni à trancher au profit de l’une des tendances.  Bilan grave, d’autant plus que les jeunes souverains, à la différence de son père,  était incapable de défendre son pays et son trône par «  les rudes chevauchées » contre les compétiteurs et les rebelles. Cette situation n’avait échappé aux observateurs politiques français résident ou de passage au Maroc. Déjà en 1899 Ségonzac prophétisait : «  Tout le monde admet que le Makhzen prévoit son absorption, dans un  avenir prochain, par quelqu’un des puissances européennes ». Le médecin de la mission militaire conseillait de : « soustraire le sultan au milieu des négociants anglais »  alors que le commandant Saint-Julien reçut pour mission de vérifier les renseignements fournis jusque-là et par-dessus tout de « porter l’attention du sultan sur la situation de la Tunisie ».

     

    Dans ces conditions le Makhzen ne pouvait soutenir aucune résistance à la conquête française de Touat. Son attitude ne pouvait être défendable aux yeux de la A’âmma (l’ensemble). El-Hajoui a cherché, non sans une certaine amertume, une explication : « lorsque j’ai examiné attentivement les raisons invoquées par le gouvernement, j’ai trouvé les arguments des Français appuyés sur une force qu’ils tirent d’eux-mêmes, car leurs preuves sont plus fortes, parce qu’ils ne négligent rien pour les soutenir, tandis que les arguments du gouvernement Alaouite perdent leur force et leur valeur, par son impuissance à les soutenir, conséquence de sa négligence politique. Celui qui manque de vigilance est toujours repoussé dans ses prétentions. L’impuissance du gouvernement des Chorfas Alalouites a pour cause cette négligence pour les affaires, par exemple leur esprit de conciliation et leur inattention pour la terre du Sahara et ses habitants  (..). Un autre exemple de cette négligence est dans leur défaut de résolution ferme et d’autorité en ce qui concerne la défense des intérêts des musulmans et de la consolidation de leurs frontières. Sinon comment est-il permis à un homme d’état d’envoyer un gouverneur au Touat, lieu contesté par l’ennemi,proche de ses frontières, dépourvu de force militaire, alors qu’il connaît parfaitement la faiblesse de ses habitants, leur insuffisance numérique, leur défaut de préparation,et, par contre, la force de l’état qui élève des contestations à ce sujet, l’impérieuses nécessité pour lui d’y pénétrer et la résolution qu’il a prise de s’en emparer ? (…) C’est à la mauvaise conduite des affaires qu’il faut attribuer dans cet événement la prise de possession par les Français des ksour de Touat, sans difficultés qui les ait arrêtés, ni arguments qui les ait convaincus, ni perte qui les ait causé des dommages : « les arguments de la force sont seuls des arguments ».

     

    Quant aux démarches que le Makhzen entreprit auprès des puissances, ce lucide fonctionnaire chérifien les qualifia de « désastreuses » et conseilla finalement de  « s’incliner devant une chose décidée » et de faire confiance à la France car « elle est connue par sa clémence et sa charité ».

     

    La solidarité entre le Makhzen et les tribus allait en s’amenuisant et la rupture sera consumée après la mission d’El-Guebbas en Algérie et la signatures des accords d’Alger. Les Doui Meniai et les ouled Jerir se sentirent abandonnés. En août 1900 à l’occasion du combat d’El-Mongar qui opposa les troupes françaises à ceux des tribus et la protestation de Lamartinière à ce sujet,si Mohamed Torres naïb du sultan répondit qu’en raison du lieu de l’attaque et puisqu’il s’agissait des Doui Meniai, la France n’avait qu’à  «s’arranger »  avec  eux. Cette attitude poussa les Doui Meniai à réclamer l’aide des autres tribus. Mais déjà des notables commencèrent à s’informer sur les conditions de la « soumission » à la France et en octobre 1901 un bon nombre de tentes se rallièrent à cette puissance.

     

    Après le protocole du 7 mai 1902 et l’abandon des territoires situés entre la Zousfana et le Guir, le Makhzen donna la justification suivante : « le gouvernement marocain s’est dessaisi du (territoire) des ouled Jerir, des Doui Meniai et des Kenadsa au profit du gouvernement d’Alger,parce qu’ils ne cessaient de susciter des querelles et des disputes avec les sujets algériens ». Il est vrais que le gouvernement était contraint à de telles concessions, mais son erreur fut de croire qu’en ce faisant il mettrait fin aux appétits de l’expansion française à partir de l’Algérie. Jusqu’à sa déposition en 1908, Moulay Abdelaziz ne cessera de croire que les troupes françaises ne dépasseront pas l’Oued Guir, et assurera les tribus de la région, après chaque exercice du « droit de suite »,de « l’inviolabilité  des droits et des frontières ».

     

    A la fin de l’année 1902, aux pertes territoriales s’ajoutèrent les réformes impopulaires de Moulay Abdelaziz, qui achevèrent de mettre tout le Maroc en ébullition. Révoltes chez les Zemmour, les Ait Youssi, les Beni M’tir, les Beraber du Haut-Atlas et du Sahara. Actions spectaculaires du grand banditisme et de la piraterie Rifaine. Désordre qui culminèrent avec la fronde de Bou-Hmara dont l’action trouva un terrain propice au Maroc oriental. La même situation sévissait dans les capitales chérifiennes qui ne tarderons pas à proclamer Moulay Hafid contre son engagement « déclarer la guerre sainte et de libérer le Touat et la Saoura ».

     

     La pénétration pacifique :

     

    Il ne fait plus de doute pour personne que le Maroc devrait faire partie du lot de la France. Restait à savoir comment cela allait-il se passer. Le Touat fut conquis manu militari ; alors fallait-il définir une nouvelle frontière comblant par la même occasion es lacunes du traité de 1845 de Lalla Maghnia, ou de laisser de nouveau imprécise la situation, comme prélude à une éventuelle prescription acquisitive qui engloberait tout le territoire marocain ?

     

    Il en fut qui soutinrent que le partage était la solution la plus séduisante : « prenons donc la carte et partageons… »  D’autres moins pressés hésitaient entre différentes formules dont la « macédonisation » qui présenterait la France comme « un Philippe de Macédoine contre Démosthène ».

     

    Mais entre-temps un problème restait sans issue : celui du territoire des Doui Meniai.  La solution proposée et appliquée par la France représentait une rupture du bon voisinage entre les deux pays, et annonçait la prise en charge totale des affaires de l’Empire chérifienne par la puissance voisine.  Commença alors la pénétration pacifique suivant un axe Nord-Sud. Le Maroc se retrouvait privé de son Sahara refuge et soupape de sécurité.

     

    La Prise en charge : (frontière ou confins… ?)

     

    La France ne pouvait continuer à défendre le statu-quo au Maroc et prôner à ce pays son intégrité territoriale, sans lui instaurer une frontière sud-orientale que la conquête de Tout avait remise en cause.  Aussi fallait-il savoir où la placer : sur l’oued  Zousfana ?  Sur l’oued Guir.  Ou au pied de l’Atlas ? Par ailleurs fallait-il dénoncer entièrement le traité de Lalla Maghnia et par conséquence pousser l’occupation jusqu’au-delà de la Moulouya ?

     

    La situation appelait sûrement à la vigilance et aussi à la prudence. «  expression géographique »,ventre mou du Maroc, le triangle bordé à l’Est par la vallée de la Zousfana et à l’Ouest par celle de Guir était u territoire de parcours et de culture des Doui Meniai et Ouled Jerir jusqu’à la fin du 19° siècle du millénaire écoulé, les Doui Meniai secondé par l’action religieuse de la Zaouia de Kenadsa matérialisaient la présence de fait du Makhzen dans la région.  De même la France n’avait jamais soulevé aucune objection de leur marocanité.  Bien au contraire la turbulence de ces deux tribus avait maintes fois motivé des réclamations des indemnités. Toutefois, faut-il mentionner qu’en 1892, lors des premiers projets de marche sur le Touat, le général Avezard commandant la subdivision de Mascara  (Mo’âskar) avait fait remarquer que les « Doui Meniai » ne sont pas des tribus marocaines dans le sens strict du mot, leurs terrains de parcours et de cultures sont situés à cheval sur la méridienne passant par Jenien- Bou-Rezg ».

     

    Mais à la fin de l’année 1899, Bou-A’âmama intervint auprès des autorités algériennes pour demander  "l’Amane " ( paix-armistice) au profit de deux notables de la tribu. Le gouverneur général de l’Algérie française à Alger accepta les bons offices de l’agitateur et la soumission des deux notables. Ceci fut un prélude à d’autres soumissions, limitées, il est vrai, mais dangereuse pour la cohésion de la tribu.

     

    Les autorités françaises ne pouvaient que se réjouir de tels événements. L’occupation de Touat n‘était en effet, pas encore terminée, qu’elles pensaient déjà aux Doui Meniai et au chemin de fer d’Igli. Aux exigences de la presse algérienne de protester à la cour de Fès contre le soutien de Doui Meniai et Ouled Jerir aux Touatiens, le chroniqueur spécialisé dans les affaires marocaines du comité  de l’Afrique Française répondit que cela n’avait d’autre intérêt que «  de grossir les sujets de plaintes qui ne manquent jamais ».

     

    Les Français auraient préféré occuper Figuig, principal refuge de tous les mécontents, «  mais il est depuis longtemps trop tard pour réclamer l’abrogation d’une convention dont une longue tradition et une pratique de plus de cinquante années ont consacré, aux yeux de l’Europe,la validité ». Aussi l’occupation du triangle Zousfana-Guir ne tarda-t-elle pas à survenir et avec elle, la signature des traités qui consacrèrent l’abandon par le Makhzen de tous les territoires conquis.