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  • Marche marocaine de réussite et guerre de succession en Algérie (16)

    Le vif du sujet de la note, à ne pas rater..

                                  

                                                      Saïd Bouteflika, on le voit ici avec du  tabac à chiquer dans la gueule

    Quel est le pouvoir de Said. Saïd Bouteflika cultive le mystère et n’accorde jamais d’entretien à la presse. Comme lui aussi, il tire sa puissance du fait qu’il a préféré l’ombre à la lumière. Ancien " faux" universitaire, jadis syndicaliste tendance trotskiste, Saïd, à 58 ans, est aujourd’hui le seul responsable à avoir un accès direct et permanent à la présidence de l'Algérie.

    Les ministres le craignent, les hommes d’affaires le courtisent et les journalistes évitent de s’intéresser de trop près à son parcours. Conseiller un peu trop influent ? Ses amis jurent que le chef de l’État le consulte, certes, mais que lui-même se mêle des affaires de l’État Algérien, en l'absence de vrais algériens-hommes d'Etat, et que cette réputation est surfaite.

    Des anciens responsables algériens qui se sentaient écartés du clan présidentiel, expliquaient en revanche, aux journalistes de Jeune Afrique qui préparaient les articles à son sujet, que Said Bouteflika nomme les ministres, dégomme les généraux, défait les carrières des préfets de wilaya en Algérie et fait le bonheur de certains businessmen.

    Surnommé le grand-vizir, ou le président bis et le président par procuration, Saïd est soupçonné de vouloir succéder à son frère ou, du moins, de peser sur sa succession de telle sorte que les clés du pouvoir demeurent entre ses mains, ce que, évidemment, l’intéressé nie régulièrement d'avoir une influence considérable, ainsi que de grandes ambitions. Fantasme ou réalité ?

    Une sortie huée..Ce sont des murmures et des chuchotements qui l’accueillirent lorsqu’il arriva devant le groupe de manifestants algériens qui s’étaient rassemblés, en ce 3 juin, devant le siège de ce qu'on appelle "l’Autorité de régulation de l’audiovisuel", dans le quartier du Sacré-Cœur d’Alger. Eux sont là pour protester contre la chaîne-tv algérienne "Ennahar" qui avait humilité, l'écrivain algérien Rachid Boujedra, un athée et infidèle dit-on en Algérie, piégé au cours d’une émission de caméra cachée.

    Silhouette frêle et sourire crispé, veste marron et jean délavé, il s’avance au milieu de la petite foule, ébahie et incrédule. Cameramen et photographes accourent et se bousculent autour de lui.

    Il s’approche de Rachid Boujedra et lui glisse : « C’est une ignominie, ce qu’ils ont fait.» L’écrivain ne reconnaît pas l’homme qui lui chuchote à l’oreille et malgré, ils échangent une poignée de main. « Vous êtes qui ? » lui demande-t-il. « C’est Said Bouteflika», lui répond à voix basse son interlocuteur. 

    Sourire crispé, il ne desserre pas la mâchoire. Une femme l’interpelle pour lui reprocher sa présence à un sit-in de la société civile. Un homme le traite de «dictateur», un autre lui assène que ce sont les enfants du peuple qui se rassemblent contre les puissants et qu’il n’est pas le bienvenu.

    Entouré de policiers en civil, Saïd s’éclipse comme il est venu, sur la pointe des pieds. Cette séquence, qui a duré quelques minutes, aurait pu être anodine n’eût été la personnalité de son protagoniste. Elle n’aurait sans doute pas été autant commentée sur les réseaux sociaux ni fait la une des journaux locaux si cet homme n’était que le simple frère cadet du président.

    Conseiller spécial du chef de l’État, ce benjamin de la fratrie présidentielle nourrit mystères et fantasmes, suscite rancœurs et fascination. Car Saïd, c’est l’autre Bouteflika. Bien sûr, son apparition publique pour soutenir l’écrivain offensé n’a pas manqué de donner lieu à mille et une rumeurs.

    Selon les remarques d'observateurs, Saïd Bouteflika veut gagner la sympathie du peuple ; il se désolidarise des responsables d’Ennahar-tv, dont il serait pourtant le premier de ses promoteurs ; il soigne son image ; il se prépare à peser sur la succession de son grand frère, malade et cloué sur son fauteuil, voire à prendre sa place.    

    A mon sens, depuis l’indépendance de l'Algérie, rares sont les conseillers à la présidence de l'Algérie qui auront pris une telle envergure, gagné autant d’influence et de puissance. À 58 ans, Saïd Bouteflika est bien plus qu’un conseiller spécial nommé par décret non publiable dans le journal officiel algérienProche parmi les proches du raïs, avec lequel il entretient des liens presque filiaux, il est aujourd’hui au cœur, voire l'instigateur, de ce qu’on peut qualifier en Algérie, de cercle du pouvoir ou de clan présidentiel.

    Président bis..Depuis la résidence-clinique de Zéralda, devenue le siège quasi officiel de la présidence algérienne, il joue le rôle d’interface entre son frère et les différentes institutions de l'Algérie, c'est du moins ce qu'on croit visuellement. Il chaperonne son grand frère, veille à son confort et à sa sécurité, établit son agenda, filtre ses audiences et transmet ses messages et instructions.

    Signe de cette étroite proximité, Saïd ne quitte pas d’une semelle son frère Abdelaziz, lorsque celui-ci se déplace à l’étranger pour des soins ou des contrôles de santé périodiques.

    Sa présence quotidienne dans ce lieu de travail et de villégiature ultra sécurisé le place de facto comme l’interlocuteur incontournable de quiconque veut s’adresser au premier magistrat du pays : responsables de l’armée et des services de renseignements, ministres, membres du cabinet présidentiel, diplomates accrédités à Alger, hommes d’affaires ou encore partenaires étrangers.

    Ce spectre de prérogatives est suffisamment large pour que certains qualifient Saïd Bouteflika de président bis, de régent ou de proconsul de Zéralda. «Abdelaziz Bouteflika est un homme méfiant et soupçonneux, décrypte un initié du sérail.

    Pour certains blogueurs, le nom "Abdelaziz" est un porte malheur pour celui qui l'en porte. (Citant d'exemple les trois abdelaziz sur la scène. Abdelaziz Lmarrakchi est mort, le second, Abdelaziz Lmouritani, vit une vie politique très pénible de dictateur dans son pays maure et le fameux Abdelaziz Bouteflika compte ses derniers souffles).

    Il ne fait confiance qu’à sa famille, qui a l’avantage d’être unie et soudée par les épreuves qu’elle a subies au fil des années. Saïd était déjà l’œil et l’oreille de son frère président. Il l’est encore un peu plus depuis qu’il ne quitte plus Zéralda que lors de voyages éclair en Europe pour consulter ses médecins. 

    Une aura écrasante..Un retour en arrière permet de mesurer le chemin parcouru par cet homme discret et secret. Né à Oujda, en 1957 le moment où sa mère "Mma Mansouria" gérait un bain maure populaire quelque part aux environs de Bab Sidi Abdelouahab, dernier d’une fratrie de cinq frères, une sœur et trois demi-sœurs, Saïd grandit à l’ombre de ce grand frère dont l’aura était parfois écrasante.

    En l’absence du père, une mule au marché de gros à Oujda (hammal) et décédé dans de mystérieuses circonstances au plus fort de la guerre d’indépendance de l'Algérie, Saïd a été élevé par deux figures tutélaires. La mère, qui couvait ses enfants comme une maman italienne, et Abdelaziz, qui faisait presque office de père de substitution. Sa scolarité, il l’accomplit chez les Pères blancs de l’école Saint-Joseph d’El-Biar, sur les hauteurs d’Alger, l’un des meilleurs établissements de la capitale, puis chez les jésuites pour devenir chrétien de confession.

    Bien que son grand frère, chef de la diplomatie, passe pour le dauphin du maudit Boumédiène, le jeune Saïd ne fait pas le fanfaron, contrairement aux enfants nantis de la nomenklatura. « Il était effacé, se souvient un de ses camarades de lycée. Pas vraiment le genre à la ramener ».

    En 1983. Tombé en disgrâce depuis deux ans, poursuivi dès 1981 par la Cour des comptes, qui avait instruit un procès contre lui pour détournement de deniers publics,il aurait dérobé une somme s'élevant 47 milliards, Abdelaziz Bouteflika entame une traversée du désert entre la France, la Suisse, la Syrie et les Émirats arabes unis, où il se considérait qu'il était conseiller diplomatique de Cheikh Zayed.

    La famille vit mal cette descente aux enfers teintée d’opprobre. On pensait que les deux frères roulaient en carrosse, mais ils vivaient plutôt chichement. Abdelaziz est entretenu par des amis algériens ou arabes – Ilich Sánchez, dit Carlos, l’avait même hébergé en 1984 dans sa villa de Damas –, Saïd connaît des fins de mois difficiles dans un petit studio du 6e arrondissement parisien, il n'arrivait pas à terminer confortablement la fin de son mois.

    Réhabilitation surprise..La disgrâce s’achève en 1987. Bouteflika, l’ex-ministre des Affaires étrangères de Boumédiane retourne au pays, où il est réhabilité politiquement. La famille récupère les biens qui lui ont été confisqués, et Saïd entame une carrière dans l’enseignement supérieur.

    L’aîné baigne dans la politique, le cadet s’en tient à distance. Le premier aime la lumière, le second préfère l’ombre. Marié à une médecin, qui exerce encore aujourd’hui dans un hôpital d’Alger, Saïd fréquente les milieux de la gauche, tendance trotskiste.

    Il milite au sein du Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes), organise des grèves, distribue des tracts et n’hésite pas, avec ses camarades syndicalistes, à débarquer dans les rédactions de la Maison de la presse pour plaider la cause des travailleurs de l’université.

    Le frère au pouvoir..Le tournant arrive en 1999, quand Abdelaziz Bouteflika accède au pouvoir. Une autre vie commence. La fratrie entoure le nouveau président. Sa sœur Zhor, une ancienne sage-femme, lui prépare ses repas.

    Aujourd’hui encore, elle veille sur lui comme une maman. Son frère Mustapha, spécialiste en ORL (décédé en 2010), devient son médecin personnel. Saïd s’occupe de la régie informatique au siège de la présidence Algérienne.

    Il prend une nouvelle dimension lorsque le chef de cabinet de la présidence, le général Larbi Belkheir, est remercié en 2005, avant d’être nommé ambassadeur au Maroc.

    Bien qu’il accompagne le chef de l’État à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, il ne se mêle pas de la gestion des affaires de l'Etat. Pas encore. Dans l’ombre, il tisse cependant un solide réseau de connaissances dans toutes les sphères de décision à la haute magistrature de l'Etat.

    Il prend une nouvelle dimension lorsque le chef de cabinet de la présidence, le général Larbi Belkheir, est remercié en 2005, avant d’être nommé ambassadeur au Maroc. Saïd Bouteflika était à la manœuvre pour amoindrir l’influence de Belkheir, saper sa crédibilité auprès de son frère président pour obtenir finalement sa tête, analyse un ancien conseiller de la présidence algérienne.

    Il fallait un grand sens de l’intrigue pour y parvenir tant il est vrai que Bouteflika devait beaucoup à Belkheir qui l’amenait au pouvoir, aprés avoir facilité son retour aux affaires. Le général éloigné à Rabat, le frère conseiller hérite de sa place dans un échiquier politique aussi vaste que complexe.

    Abdelaziz et Saïd sont étroitement soudés par les liens de famille et de travail. Ils le seront encore davantage après l’ulcère hémorragique dont est victime Bouteflika en novembre 2005 et qui a failli lui coûter la vie.

    Il en réchappe miraculeusement, mais rien ne sera plus comme avant. La maladie, l’âge, l’usure du pouvoir et cette vieille méfiance qui lui dicte de ne faire confiance qu’aux siens aidant, Bouteflika délègue de plus en plus à son jeune frère, qui devient ainsi un rouage précieux au cœur d’un pouvoir ultra-présidentiel. Une nouvelle épreuve lui permet d’asseoir encore davantage son influence.

    En avril 2013, Bouteflika est victime d’un AVC qui laissera des séquelles irréversibles. On le dit fini politiquement ou encore passible d’une mesure d’impeachment pour cause de maladie grave et handicapante. Mais Bouteflika n’est pas homme à songer à la retraite.

    L’effacement graduel de ce dernier dans la gestion quotidienne de la cité place Saïd dans la posture de celui qui décide à la place de son illustre frère

    Dans les coulisses, Saïd s’active pour préparer le quatrième mandat. Il récupère le FLN en le confiant à Amar Saadani, supervise la campagne de dénigrement et la stratégie d’affaiblissement du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, dissous en 2016) et de son chef, le général Mohamed Mediène, dit Toufik, se rapproche du patron de l’armée, Ahmed Gaïd Salah,il l'appelait "Aâmi Salah" et mobilise les hommes d’affaires pour financer la réélection de son frère en avril 2014.

    Sur l’influence et la puissance, surfaites ou avérées, de Saïd Bouteflika, les spécialistes se perdent en conjectures. De lui, on dit qu’il nomme et révoque les ministres, promeut et abrège les carrières des hauts gradés de l’armée ou des préfets, dicte la conduire des affaires et paraphe même des décrets à l’insu du président-frère.

    On lui prête cette phrase, qu’il répéterait à l’envi à l’oreille des responsables : « Le président vous demande de faire ça… » Vrai ou faux, ce n’est pas l’intéressé qui accréditera ou démentira ces rumeurs. Saïd Bouteflika ne parle jamais aux journalistes.

    Discréditer..La vie quasi monastique du conseiller présidentiel, sa timidité et sa réserve concourent à épaissir le mystère qui entoure sa personnalité et son véritable rôle aux côtés du grand frère. Un ancien ministre témoigne : « En dix ans de service dans différents gouvernements, jamais je n’ai eu le moindre contact avec Saïd Bouteflika, ni reçu de lui aucune instruction. »

    Un autre, qui a détenu cinq portefeuilles, abonde dans ce sens : «Saïd est l'oiseau de mauvais augure qu’on agite pour discréditer le président. Bouteflika aurait eu une trop haute idée de la fonction présidentielle pour laisser son frère décider à sa place, a fortiori dans son dos. »

    Même Toufik, l’ex-patron du DRS poussé à la porte de sortie en septembre 2015, relativise auprès de ses visiteurs du soir cette supposée influence de Saïd. « Bouteflika ne partagerait jamais le pouvoir, pas même avec le bon Dieu », objecte encore une vieille connaissance du raïs.

    Pourtant, d’autres témoins prétendent le contraire, parfois sous le sceau de l’anonymat. L’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal, par exemple, confiait à ses proches recevoir une dizaine d’appels par jour de ce conseiller très spécial. Un ex-ministre du FLN raconte avoir reçu un jour un appel cinglant de Saïd qui lui demandait de « se faire petit ».

    Il a fait ses cartons au premier remaniement ministériel pour ne plus réapparaître sur les écrans radars. La puissance est une illusion qui peut s’arrêter du jour au lendemain, philosophe un habitué des arcanes du système. « Regardez le sort réservé à Toufik, observe-t-il. La puissance qu’il s’est forgée au fil des vingt-cinq dernières années s’est écroulée la matinée même où il a été écarté de ses fonctions. »

    Ambitions de succession..De là à penser que Saïd Bouteflika subira le même sort, il y a loin de la coupe aux lèvres. D’autant plus qu’on lui prête l’ambition de succéder un jour à son frère. La rumeur selon laquelle il s’apprêterait à créer un nouveau parti politique pour assouvir ce prétendu désir est récurrente. Et le silence que s’est imposé le président de la République sur son propre avenir politique ne contribue pas à la dissiper.

    « Bouteflika n’est pas du genre à désigner un successeur, souligne un vieux routier du sérail qui l’a longtemps côtoyé. Il n’est même pas du genre à entrevoir un dauphin. Abdelmalek Sellal ? Il le juge peu fiable et sans boussole. Ahmed Ouyahia ? Il pense que son impopularité constitue un handicap rédhibitoire. Abdelaziz Belkhadem ? Il l’a excommunié en août 2014 d’un trait de plume pour avoir eu l’outrecuidance de participer à une réunion de l’opposition. Du coup, les gens spéculent et interprètent le mutisme du chef de l’État algérien comme une manière de préparer le terrain au dernier de la famille Bouteflika. »

    La scène se passe peu de temps après l’élection d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence algérienne, en avril 1999. Mohamed Chérif Messaadia, pur apparatchik du FLN, président à l'époque de ce qu'on appelle, le Conseil de la nation (Sénat) d’avril 2001 à sa mort, en juin 2002, évoque avec son médecin traitant sa longue amitié avec Bouteflika, qu’il connaît depuis la fin des années 1950, quand les deux hommes furent chargés par l’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN) en la qualité de commissaires politiques, d’ouvrir un front algérien au Mali.

    Parlant de la vision et de la conception du pouvoir algérien, Messaadia glisse cette phrase à son docteur : « Bouteflika, c’est d’El-Mouradia à El-Alia, sans escale… » Comprendre : il ne quittera la présidence que pour le repos éternel au cimetière d’El-Alia, aux côtés de certains de ses prédécesseurs. Lancé comme une boutade, le propos de Messaadia, qui, comme son vieil ami, a connu la disgrâce après les émeutes d’octobre 1988 puis une longue traversée du désert avant d’être réhabilité, résonne aujourd’hui comme une quasi-prophétie.

    Aptitude à gouverner..Au pouvoir depuis presque dix-sept ans, Abdelaziz Bouteflika, 80 ans, n’est pas près de se retirer. Il y a quelques mois, le débat tournait autour de sa capacité à terminer son quatrième mandat (2014-2019). Mettant en doute son aptitude à gouverner compte tenu de ses problèmes de santé consécutifs à l’accident vasculaire cérébral (AVC) qu’il avait subi en avril 2013, et depuis, certains opposants évoquaient une vacance du pouvoir.

    D’autres détracteurs, encore plus virulents, pressaient l’armée d’intervenir pour l’écarter de ses fonctions en s’appuyant sur un article de la nouvelle Constitution-chiffon algérienne, lequel prévoit l’impeachment du chef de l’État en cas de maladie grave et de longue durée. On tablait alors sur une période de transition dont l’institution militaire se serait portée garante. En d’autres termes, Bouteflika serait tôt ou tard sur le départ, et sa succession engagée. 

    Prétendants à la succession..À mi-parcours de ce fameux quatrième mandat qui a fait couler beaucoup d’encre, le débat en Algérie a changé de nature. Aujourd’hui, il tourne autour d’un nouveau bail au palais d’El-Mouradia, un cinquième mandat dont les plus fervents partisans sont des proches et des soutiens du président Bouteflika, qui l’évoquent avec de plus en plus d’insistance.

    C’est le grand thuriféraire de l'époque Jamel Ould Abbès, porté à la tête du FLN en octobre dernier en remplacement d’Amar Saadani, qui a ouvert le bal. Très proche de la famille présidentielle, Ould Abbès juge « évident que le parti désigne son président [Bouteflika est le président d’honneur du FLN] comme candidat à la présidentielle de 2019 ».

    À ceux qui écarquillent les yeux en l’entendant envisager cette perspective, Ould Abbès répond avec un certain agacement : « Je ne suce pas mon pouce, je ne suis pas un écolier. J’ai de longues années de militantisme derrière moi. Il faut prendre mes propos au sérieux. »

    Il n’est manifestement pas le seul à les prendre au sérieux. Ancien ministre, qui faisait partie de la garde prétorienne du raïs, et actuel sénateur du tiers présidentiel, Amar Tou considère qu’un cinquième mandat est « une nécessité » pour le pays.

    « Ce qui n’a pas été encore réalisé en cette période de crise doit être terminé », argue-t-il. Jamais avare d’un soutien au président, Amara Benyounes, lui aussi ex-ministre, plaide dans le même sens, même s’il prend soin de préciser que l’échéance est encore loin et que la décision revient au seul concerné. On s’en doute. Naturellement, ce dernier ne se prononce pas sur le sujet. Pas plus qu’il ne donne publiquement la moindre indication sur ses intentions futures ni sur d’éventuels prétendants qui pourraient concourir à sa succession.

    Un personnage complexe..Quiconque prétendrait connaître l’agenda futur d’Abdelaziz Bouteflika serait bien présomptueux, comme le confirment ses proches. Une vieille amie du président prenait un jour le thé à Paris avec un ambassadeur occidental. Informelle, l’entrevue tournait autour de la situation en Algérie, ainsi que des projets et des intentions du chef de l’État algérien concernant l’avenir. « J’aimerais bien savoir ce qui se trame », s’interrogeait le diplomate occidental.

    Depuis son retour aux affaires, en 1999, après une longue disgrâce, Abdelaziz Bouteflika n’a jamais fait mystère de son ambition de durer. À peine s’était-il installé à El-Moradia qu’il lançait à son directeur de cabinet, Ali Benflis, cette phrase qui illustre toute son appétence pour le pouvoir : « Nous allons faire deux mandats, puis modifier la Constitution. »

    Mais ce "tab-jnanou de Steif", a tenu parole. En novembre 2008, il a fait amender la loi promulguée en 1996 par son prédécesseur, Liamine Zéroual, laquelle limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Quelques mois plus tard, il est réélu pour un troisième mandat. Au général Mohamed Mediène, dit « Toufik », alors patron du puissant DRS,  Bouteflika a justifié sa volonté de rester aux commandes de l’État en ces termes : « Je n’ai pas terminé mon programme, je resterai tant que je peux. »

    Garant de la stabilité de l'Algérie..En avril 2014, alors qu’il s’apprêtait à rempiler pour un quatrième exercice en dépit d’une santé fragile, il avait brandi le même argument, soulignant, en outre, la nécessité de mettre l’Algérie à l’abri du chaos, de l’instabilité et de l'ennemi qui l'a guête de l'Ouest.

    « Bouteflika est convaincu qu’il est né pour commander, dit l’un de ses anciens ministres. Il a gardé une grande amertume et nourri une rancune tenace à l’égard des militaires qui l’avaient écarté à la mort de Boumédiène, en 1978, lui préférant l’un des leurs, le colonel Chadli Ben Jedid. Il pensait que la succession lui revenait tout naturellement. » Un cacique du FLN qui a géré plusieurs portefeuilles ministériels au cours des deux dernières décennies met en avant une autre dimension chère à Bouteflika : la notion d’homme providentiel.

    « Bouteflika a souvent évoqué comme exemple le président tunisien Ben Ali [chassé du pouvoir en janvier 2011], explique-t-il. C’est un zaïm qui n’aime pas partager ses prérogatives. S’il écoute et consulte, il se range rarement à l’avis des autres. » Adepte d’un régime ultraprésidentiel, Bouteflika a une conception plutôt monarchiste du pouvoir.

    « Sa longue fréquentation des monarchies et émirats du Golfe arabe l’a converti au modèle de la présidence à vie, même si celui-ci est passé de mode, avance un diplomate algérien. Ceux qui gravitent autour du pouvoir l’ont d’ailleurs très bien compris et assimilé. Aujourd’hui, y compris le premier nouveau charlatan Tebboune de la primature algérienne, chacun s’empresse, non pas de soutenir son programme, mais de prêter allégeance à sa personne par le biais de son frère conseillers Said Bouteflika. On est presque dans le culte de la personnalité. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. »

    Contrôles des services de renseignements..Au cours des dix-sept dernières années, Bouteflika a patiemment travaillé à reformater le système politique, au point d’avoir réussi à en changer le logiciel. Les généraux influents qui faisaient et défaisaient les présidents depuis l’indépendance ? Tous ont été écartés ou mis à la retraite, ou sont décédés. L’armée, colonne vertébrale du régime ? Elle est définitivement sous sa coupe. Sous la myopie de "Aâmhom Salah", les services dites d’intelligence dans l'armée algérienne qui constituaient un pouvoir parallèle, omniscient et redoutable ? Ils ont été dissous, puis restructurés en une seule entité placée sous le contrôle direct de Bouteflika-frères.

    Le gouvernement algérien ? Il coordonne et applique le programme du président sans barguigner. Les divers clans qui se partageaient et se disputaient les centres de décision ? Il n’en reste plus qu’un seul : le cercle du pouvoir, dit le clan présidentiel. Les médias, à qui leur hostilité à son égard au cours des deux premiers mandats conférait un vrai contre-pouvoir ? Ils ont été domestiqués. Le monde des affaires et de l’argent ? Il s’est rangé derrière le clan du frère du président Said Bouteflika. Même le siège de la présidence, située sur les hauteurs d’Alger, a symboliquement changé de lieu.

    Bouteflika ne s’y rend que deux ou trois fois par an pour y tenir le Conseil des ministres. Depuis l’été 2013, il a en effet élu domicile à Zeralda, sur le littoral ouest de la capitale Alger. C’est dans cette résidence ultrasécurisée qu'il vit péniblement. La presse-jaune et médias algériens disent qu'il travaille, se soigne et reçoit ses collaborateurs et ses hôtes étrangers. Pourquoi un Bouteflika maître de son destin céderait-il demain à un autre tout ce système qu’il a inlassablement œuvré à mettre en place  en détriment de l'intêret général des algériens qui, croyaient en avoir trouvé en lui, le sauveur de l'Algérie du "marteau et enclume" des capo-généraux gaullistes.?

    L'impossible réconciliation..Pourtant, que de fois n’a-t-il songé à passer la main. Que de fois n’a-t-il évoqué la possibilité de s’éloigner du pouvoir. D’abord en 2007. Deux ans après l’ulcère hémorragique qui a failli lui coûter la vie en novembre 2005, il confiait à l’un de ses amis la tâche de réfléchir à une période de transition. Alors que le président Bouteflika, avait à l'insu du peuple algérien, acquis une vaste propriété dans la banlieue de Genève, qui aurait éventuellement servi de lieu de refuge et de villégiature au futur retraité, cette personnalité menait des consultations discrètes à Alger pour former la nouvelle équipe qui dirigerait cette transition. Le président s’étant ravisé, le projet a été abandonné.

    Bouteflika fit part une seconde fois de son intention de passer le flambeau dans la foulée des révolutions qui ont balayé les pouvoirs en Tunisie,en Égypte, en libye et en Yémen durant l’hiver 2011. Devant un parterre de hauts responsables qui lui demandaient de promulguer, conformément à ses engagements, une nouvelle Constitution, il évoqua sa lassitude et son envie d’ailleurs. Une nouvelle loi fondamentale ? « Ce sera pour un jeune dirigeant qui me succédera », avait-il dit en substance.

    Trois mois plus tard, Bouteflika déclarait à Sétif devant un millier de personnes qu’il était temps que la génération de vieux dirigeants qui truste le pouvoir depuis 1962 transmette le relais aux plus jeunes. Laissant ainsi entendre que l’heure était venue pour lui d’organiser l’alternance. Mais il n’en fera rien. La troisième fois qu'il laissera entrevoir la possibilité de quitter le pouvoir remonte à 2013. Fragilisé par son état de santé, il avait alors fait part à différents interlocuteurs de son intention de ne pas briguer un quatrième mandat.

    L’un de ses visiteurs rapporte qu’au cours d’une longue entrevue avec lui, en février 2014, il osa la question que tout le monde se posait. « Monsieur le président, allez-vous être candidat ? » Tassé dans son fauteuil roulant, déguisé en pyjama de chambre et tirant sur peignoir, celui-ci répondit avec un air de résignation : « Vous me voyez me représenter dans cet état ? » Coup de bluff ? Pressions de son entourage ? Désir irrépressible de se maintenir ? Toujours est-il que vingt jours après cette audience, Abdelaziz Bouteflika était officiellement candidat à la présidentielle de 2014. On connaît la suite.

    Une santé très fragile..« Son appétence pour le pouvoir va l’inciter à se représenter en 2019, décrypte un certain Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ambassadeur algérien au Mexique et en Espagne. Mais sa maladie pourrait l’en empêcher. » Vraiment ? Si le dossier médical du chef de l’État reste l’un des secrets les mieux gardés de la République, sa santé fragile ne constitue plus un handicap rédhibitoire pour une éventuelle candidature.

    Du moins pour ses proches, qui sont nombreux à assurer que son état de santé s’est amélioré. Jamel Ould Abbès, le SG du parti FLN, le nouveau crieur public de la présidence algérienne jure même et se contente de dire au plein bouche que Bouteflika recommencera à marcher dans les prochains mois.

    Son incapacité à voyager à l’étranger et à s’adresser directement à ses compatriotes ? Elle ne l’a pas empêché de faire un quatrième mandat. Le fait qu’il exerce ses fonctions dans un fauteuil roulant ? « Vous voyez bien qu’il a repris ses sorties sur le terrain en visitant la Grande Mosquée d’Alger ou en inaugurant la nouvelle ville de Sidi Abdellah, plaide l’un de ses soutiens. Ceux qui pensent qu’il est proche de la retraite se trompent. »

    Ses partisans expliquent encore que le pays est bien dirigé malgré une crise financière aiguë qui fait craindre des lendemains incertains. Paradoxalement, cette crise qui frappe l’Algérie en raison de l’effondrement de ses revenus pétroliers pourrait servir d’argument pour un cinquième mandat. L’actuel exercice a été dicté par l’impératif d’assurer la stabilité du pays, dit-on. Le prochain le serait par la nécessité de gérer un contexte socio-économique délicat et potentiellement explosif.

    Said, l'autre Bouteflika..«Il s’est préparé, a fondé un parti politique, a été adoubé. Et va lui succéder… » Depuis presque huit ans, le destin de Saïd Bouteflika, 59 ans, fait l’objet de toutes les supputations. Et pour cause : son rôle clé au sein du cercle présidentiel alimente tous les fantasmes. Conseiller spécial à la présidence, proche du milieu des affaires, Saïd jouit de la confiance absolue de son frère aîné. À la faveur de la maladie de ce dernier et de son effacement du devant de la scène, cet universitaire aussi muet qu’une tombe est devenu l’interface entre son frère le chef de l’État et les soi-disant grandes institutions de l'Algérie.

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