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  • Des presponsables de l'UE parlent de l'évolution du Maroc

      Les Européens en temoignent par une conférence de presse à Rabat.

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    Mme Ferrero Wildner intérrogée sur : L'année 2012, année d'ouverture des frontières notamment pour les produits européens, sera difficile. N'est-on pas aller trop vite et trop loin ? elle répondait que:

    Sur le plan économique évidemment tout découle de l'ouverture. A partir du moment où vous décidez de signer un accord de libre-échange sur les produits industriels avec l'Europe et d'engager des négociations sur la libéralisation des produits agricoles et des services, à partir du moment où vous avez signé un accord d'échanges global avec les États-Unis, vous êtes obligés de faire des réformes structurelles, faute de quoi vous ne serez pas compétitifs. Jusqu'à présent, le Maroc était une économie de niche avec des gens qui faisaient des gains énormes dans des systèmes protégés. L'ouverture de l'économie a nécessité toute une série de réformes qui va de la réforme administrative, à la réforme fiscale, à l'appui à la compétitivité des entreprises, à la formation professionnelle,à la dynamique des infrastructures. Il y a toute une série de mesures structurelles qui sont lancées.

     Quel est l'élément qui manque dans ce processus inachevé de réformes ?

    La réforme de la justice qui est la plus importante, qui facilitera la lutte contre la corruption et qui amènera les investisseurs étrangers a être en confiance au Maroc. J'ai assez d'affection pour ce pays pour dire que s'il n'y a pas de réforme de la justice, les choses ne changeront pas fondamentalement. C'est comme l'a dit Sa Majesté le Roi, « la priorité des priorités » et il faut mettre en pratique cette réforme. Nous n'en sommes pas encore là et après avoir aidé à l'informatisation des tribunaux pour faire circuler plus vite les jurisprudences et les jugements, j'ai décidé de ne pas appuyer la réforme de la justice l'année prochaine puisqu'il n'y a pas à ce stade de réforme de la justice appuyable. Le budget qui devait lui être consacrée sera mis à la disposition de l'agriculture, car il ne sert à rien d'appuyer une réforme qui n'existe pas. La société civile qui est très dynamique a travaillé sur des propositions et a ouvert le débat, il faut avancer. Il ne s'agit pas de moderniser les tribunaux et d'améliorer le salaire des magistrats même si cela fait partie d'un ensemble.

     Dans toutes les enquêtes d'opinion sur la corruption au Maroc, la justice apparaît toujours en tête ! Une première mesure toute simple serait l'organisation des carrières des magistrats en évitant de les maintenir toute leur vie dans le même tribunal car cela est corruptogène. A la Commission européenne même les directeurs généraux sont obligés de changer tous les 5 ans pour éviter les conflits d'intérêt. Dans cette évolution vers l'ouverture économique, il y a beaucoup de choses réalisées qui se traduisent par la croissance pour répondre aux défis. La croissance a doublé dans les années 2000 par rapport aux années 90, ce n'est pas le fruit du hasard mais de la politique de réformes.

     On parle de plus en plus non pas de croissance mais de croissance équitable, de croissance partagée, de sécurité humaine selon la terminologie du PNUD ?

    Oui, on voit bien que dans les fruits de la croissance, il y a une inégalité de la répartition comme en témoigne le fossé entre le développement économique et le développement humain. Dans les indicateurs internationaux, le Maroc est à la 100e place pour le développement économique et à la 130e place pour le développement humain. Les différents gouvernements que ce soit celui de Driss Jettou ou de Abbas El Fassi en ont bien conscience, il suffit de voir les budgets très élevés consacrés à la santé, à l'éducation, à l'INDH qui sont autant de tentatives de réduire la différence entre développement humain et développement économique. Cela prend du temps.

     Avec un trend très puissant de réformes, nous ne sommes parvenus qu'à un changement d'échelle et non de nature au point de vue économique et sociétal. En d'autres termes nous n'avons pas changé de régime de croissance malgré tous les efforts. Où est l'erreur ?

    Il faut laisser le temps au temps. La grande force de Sa Majesté est la durée et la vision stratégique que donne ce long terme est importante. Quand vous lisez les analyses des risques pays, le Maroc est toujours bien noté car il y a cette vision du long terme et que le Souverain a une bonne connaissance de sa société. Il sait que l'on ne peut pas la bouleverser sans dégâts. Qui est prêt à recevoir 25% de sa population rurale et la voir arriver en villes dans les 10 prochaines années ? Personne. Vous ne pouvez pas aller trop vite et en même temps, si vous n'allez pas assez vite, vous n'aurez pas les 7% de croissance parce que c'est ce qu'il faut pour créer les 700 000 emplois par an dont le Maroc a besoin pour les 15 prochaines années. C'est tout le défi du pilotage qui est extraordinairement complexe. Il faut évoluer sans aller trop vite pour ne pas bouleverser une société qui est fondamentalement conservatrice pour des raisons religieuses, pour des raisons de ruralité. Ce n'est pas une critique mais un constat. Entre les élites qui regardent vers le Nord, vers la modernisation et la population qui est encore dans la relation traditionnelle qui suscite encore du clientélisme, vous ne pouvez pas tout changer d'un seul coup.

    Qu'est-ce qui vous semble être le phénomène le plus dangereux, le plus préjudiciable ?

    Je pense qu'il faudra s'attaquer de front et rapidement à la corruption. C'est devenue une pratique « démocratisée », banalisée. Quiconque a un petit pouvoir s'en sert. Ce que j'ai trouvé de plus choquant dans la formation des coalitions municipales, c'est que pour une bonne partie des élus, le problème était de s'enrichir et non pas de servir. On avait ce sentiment que certains élus avaient investi et qu'ils attendent le retour sur investissement. Ce n'est pas ma conception de la fonction et de la chose publique.

    Le statut avancé dont dispose le Maroc, au-delà de son ancrage à l'Union européenne, constitue une formidable impulsion pour la politique de réforme. Nous avons là un objectif, un repère qui nous permet de réformer, de normaliser, de nous mettre à niveau, de moderniser… Où en sommes-nous ?

    Ce que nous nous sommes proposés de faire ensemble est un vrai programme de société pour les 15 ou 20 prochaines années. Concernant la décennie passée, nous avons réalisé beaucoup de choses depuis l'entrée en vigueur de l'accord d'association. Dès cette époque, Sa Majesté a demandé à aller plus loin. C'est lui qui a introduit la notion de statut avancé peu de temps après son arrivée sur le Trône et l'a défini en disant «plus que l'association et moins que l'adhésion».On a eu l'accord d'association, on a développé les sous-comités y compris celui des droits de l'homme qui s'est réuni à 4 reprises, c'est important de le préciser car cela veut dire qu'il n'y a plus de sujets tabous. On s'est aperçu que dans le processus de Barcelone qui l'accompagnait, il n'y avait pas de différenciation et qu'on allait au rythme du moins ambitieux. On a alors créé la politique de voisinage qui était une réponse.

     Le Maroc a été le premier pays à répondre à cette politique et à lui donner tout son dynamisme, avec un plan d'action des réformes engagées. C'est un agenda des réformes marocaines avec un engagement européen d'appuyer ces réformes. Il n'y a pas aujourd'hui un des chantiers de réformes, éducation, lutte contre l'analphabétisme, santé, éradication des bidonvilles, INDH, compétitivité des entreprises, formation professionnelle, centres techniques industriels, qui ne soit pas appuyé par l'UE. Nous sommes d'autre part, de loin dans la région la délégation la plus efficace, non parce que nous sommes meilleurs que les autres, mais parce qu'ensemble avec le ministère des Finances, nous avons monté un système qui nous a permis sur les 4 dernières années d'augmenter les fonds communautaires payés au Maroc de 134%. Entre 2001 et 2005, nous avions 400 millions d'euros, entre 2005 et 2008 nous étions à 1 milliard d'euros. Cela permet d'accélérer les choses : les réformes sont engagées, il y a eu des résultats comme en témoigne le taux de croissance et cela a permis de répondre positivement à Sa Majesté à sa demande de statut avancé. Il faut dire que l'administration marocaine s'était bien préparée aux négociations avec l'Europe pilotées par Youssef Lamrani SG du ministère des AE et Zouheir Chorfi, directeur du Trésor qui ont fait un travail remarquable, j'ai même entendu dire que c'était mieux préparé que leurs homologues européens !

    Ce que vous avez qualifié de «feuille de route» est tracé, que faut-il pour avancer ?

    Nous avons eu cette feuille de route qui est une boussole pour notre coopération, un agenda de réformes marocaines qui se fera au rythme du Maroc et un vrai projet de société ! Le statut avancé est un véritable processus d'adhésion au marché intérieur mais il faut se rendre compte que le Maroc devra se doter dans sa législation interne de l'ensemble des règles européennes qui gouverne ce marché intérieur. Dans certains domaines, le Maroc est près de ce marché intérieur, dans d'autres ce n'est pas encore le cas. Il faut encore s'approprier ce processus, dialoguer avec les chefs d'entreprises, se rapprocher et s'intégrer sur les 20 prochaines années au marché européen.

    Sauf que le Maroc n'a pas accès aux fonds de convergence dont ont bénéficié les pays adhérents lors du premier élargissement et les dix derniers adhérents. Or ces fonds de convergence peuvent jouer un rôle-clé dans la mise en œuvre des réformes, en facilitant les ajustements nécessaires. Quel est votre sentiment sur cette question ?

    Quand je suis arrivé comme ambassadeur de l'UE en Pologne qui a 10 millions d'habitants de plus que le Maroc, j'avais dans les fonds de pré-adhésion 350 millions d'euros. Avec les 250 millions d'euros que nous avons actuellement pour le Maroc, nous n'en sommes pas très loin. Il y a d'autre part d'autres perspectives puisque nous aurons dans le budget 2014-2021 une augmentation sensible même si la crise est passée par là !Les efforts faits ces dernières années sont importants. La politique de voisinage avait créé une facilité de gouvernance et de tous les 17 pays de voisinage, le Maroc est le seul a avoir eu les trois années cette facilité de paiement. C'est un indicateur de la reconnaissance par l'Europe des réformes du Maroc.

    Certains observateurs avaient évoqué cette notion de «paradigme de la croissance», comment expliquez-vous à votre tour ce paradigme du développement humain qui fait que la pauvreté et les inégalités s'accroissent ?

    Les réformes prennent du temps. Il y a un décalage entre la perception du changement qui est là au niveau des routes, des autoroutes, des ports, des aéroports, de l'électrification quasi général dans le monde rural, de la mise à niveau des villes. on voit bien que les choses changent mais entre cette perception et sa diffusion en terme de prospérité dans l'ensemble de la population, il faut du temps. Si vous regardez le XIX siècle en Europe où se mettaient en place toutes les racines du développement, il y avait encore une immense misère dans les mines, les usines où travaillaient les enfants de bas âge. C'est à ce moment-là que se mettaient en place les éléments de la modernité. Entre la croissance et sa diffusion à l'ensemble de la population, il faut du temps et c'est plus compliqué aujourd'hui avec la médiatisation et parce que les gens sont plus impatients. La question qui se posera est celle de la vitesse. Les efforts qui sont faits sont-ils suffisants pour répondre aux défis notamment au défi majeur qui est celui de l'emploi des jeunes jusqu'à 2025 ? C'est un risque partagé avec l'Europe car ces chômeurs s'ils ne trouvent pas de travail iront ailleurs en Europe, au risque de leur vie. Si les choses évoluent trop vite, les citoyens ne se reconnaîtront plus. Les changements trop rapides sont perturbateurs, il faut travailler sur l'éducation, la santé. Il faut laisser le temps au temps tout en sachant que vous n'avez pas beaucoup de temps. C'est la grande contrainte.

    Vous avez évoqué au début de l'entretien la question de la censure qui peut prendre différentes formes. Nombre de mes confrères souffrent aujourd'hui de jugements extrêmement lourds qui mettent en jeu la survie de leurs journaux. Quel est le ressenti de Bruno De Thomas, notre ancien confrère du Monde ?

    J'ai assisté durant les quatre années de mon séjour à l'ouverture du champ de la presse. Soyons honnête, il n'y a plus beaucoup de sujets tabous pour les journalistes marocains qui peuvent traiter de tous les sujets !En fait et en réfléchissant bien, il y a deux problèmes, celui de la formation des journalistes, d'éthique journalistique et un problème de loi de la presse qui est en préparation depuis trop longtemps. A part peut être sur un sujet, il n'y a pas de raison de maintenir des peines de prison pour les délits d'opinion. Concernant la censure, c'est une erreur :les personnes qui veulent être informés dans le monde d'aujourd'hui ont tous les moyens pour l'être. Et je crois ils verront plus le journalisme à ornière si on les laisse tout dire que si on les laisse pas tout dire. Il y a des journalistes qui ne veulent pas de changement ! Il y a à la fois la question de formation des journalistes et le problème de la loi et de la justice.

    S'il y a diffamation, il faut punir mais il faut que cela soit proportionnel. On retombe sur la justice. Si tout le monde avait confiance en la justice, il n'y aurait plus de problème. La réforme de la justice est la prochaine frontière et si on ne la fait pas, la confiance ne sera pas au rendez-vous et les investissements étrangers sans lesquels il n'y aura pas de croissance ne seront pas là. Tout ce processus que l'on met en place de statut avancé, c'est pour améliorer l'attractivité du Royaume et attirer les investisseurs étrangers. Quand ces derniers auront la certitude que le Maroc est bien intégré dans le marché intérieur, il viendront investir au Maroc compte tenu de la proximité et d'autres atouts. C'est ce phénomène que l'on a vu dans le cadre de l'élargissement. Quand je suis arrivé en Pologne, il y avait des investissements étrangers de l'ordre de 3 à 4 milliards de dollars, chiffre atteint par le Maroc il y a deux ou trois ans. A son élargissement, la Pologne a pu drainer jusqu'à 15 milliards de dollars !Les investisseurs appréciaient la main-d'œuvre bien formée, il y avait la proximité du marché allemand. Pour qu'il y ait irrévocabilité de cet ancrage européen, il faut que les opérateurs investisseurs aient la certitude que cette intégration adhésion au marché intérieur aura bien lieu. Il faut qu'en s'installant au Maroc ils aient confiance en les éléments de gouvernance à commencer par la justice. Il faut qu'ils se sentent rassurés par la justice à laquelle on se réfère.

    Aujourd'hui, quels sont, selon vous, les atouts du Maroc ?

    Le Maroc a des atouts dans la proximité, dans la volonté politique de modernisation que l'on ne voit pas beaucoup dans la région. Il a des atouts par la capacité stratégique que donne la royauté. Il a une population jeune qui mieux formée constituera une formidable richesse, il a un dynamisme entrepreunarial. Mais nous sommes encore dans les secteurs de niche les moins productifs où l'on fait rapidement de l'argent sans créer de la richesse et de l'emploi. Un des problèmes à venir c'est l'étroitesse du secteur productif ! Mais globalement si l'on se retourne que de chemin parcouru !sur dix ans, la vie d'un pays aussi ancien que le Royaume chérifien comme la plupart des pays européens qui ont des racines, ce n'est rien et en même temps que de choses ont changé qui peuvent changer l'avenir !

    Durant vos quatre années de séjour au Maroc, quel est le changement qui vous a le plus marqué ?

    J'ai trouvé que les choses ont changé réellement. Je suis irrité quand j'entends les gens dire que rien n'a changé ! Il y a quatre ans, il y avait des choses dont on ne parlait pas, aujourd'hui il n'y a plus de sujets tabous même la fortune du Roi qui fait la une des journaux ! Ce qui a changé, ce sont les infrastructures, les ports, les aéroports, l'autoroute : on va à Marrakech en 3 heures depuis Rabat de manière confortable alors qu'avant on y mettait plus de 5 heures avec beaucoup de risques ! Il y a Tanger Med, demain il y aura Nador West et il y a surtout cette révolution silencieuse du changement du statut des femmes. Ce pays sera sauvé par ses femmes, parce qu'elles travaillent plus que les hommes, elles sont plus responsables, moins aptes à la corruption et elles savent faire la part de ce qui est à la religion et à la vie quotidienne. L'évolution de la femme, j'en suis persuadé, c'est ce qui fera que ce pays sera sur les bons rails ou ne sera pas.Bonne lecture.

                                                               Cordialement,Chihab25