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  • Le complot de Skhirat 1971

                                     IL ETAIT UNE FOIS A SKHIRAT         

    Venus de l'École militaire d'Ahermoumou, des dizaines de soldats se sont acharnés sur l'assistance faisant plus de 100 morts et des centaines de blessés.


                                      Les principaux acteurs du coup d'état avorté de Skhirat le 10 juillet 1971 sont le général Oufkir, ministre de l'Intérieuar depuis 1964 et le général Medbouh, directeur de la Maison militaire royale depuis avril 1968. Le premier était à l tête de plusieurs départements ministériels dont celui de l'Intérieur, contrôle presque la totalité des rouages de l'état. Le second était chargé d'informer le Roi de toutes les questions relatives à la défense et au maintien de l'ordre et détenait des pouvoirs étendus au sein de l'armée. Avant de passer à l'action, ils prennent soin d'écarter des postes-clés tous les hommes susceptibles de gêner leur plan.
                                      L'instrument du complot et l'arme du crime sont rapidement choisis : les cadets de l'École militaire d'Ahermoumou dans la province de Taza. Nommé à la tête de cet établissement depuis 1968, M'hamed Ababou prend soin d'augmenter substantiellement les effectifs de l'École. Le nombre de cadets passe ainsi de 600 à 1.500 en deux ans seulement. Le général Amahrach, directeur des Écoles militaires et le colonel Chelouati, chargé des opérations et du ravitaillement à l'état-major général, ont été chargés d'ouvrir les dépôts de matériel et de munitions. Une première tentative d'assassinat du Souverain Hassan II a été reportée. Elle devait avoir lieu le 14 mai 1971, à l'occasion du défilé militaire. Mais ce dernier fut ajourné. La date du putsch fut donc fixée au 10 juillet 1971, lors des festivités de la fête de la Jeunesse, soit le 42ème anniversaire de Feu SM Hassan II. Dès 2 heures du matin, 25 commandos et une section spéciale à bord d'une soixantaine de camions quittent Ahermoumou, officiellement pour opérer une manœuvre militaire à Ben slimane. Ce n'est qu'en court de route, à quelques kilomètres de Salé, que Ababou   explique à ses hommes le plan d'attaque du Palais de Skhirat.
                                     Sur place, les troupes ont franchi les portes du palais et se sont acharnées sur l'assistance, en tuant et blessant plusieurs personnes : plus d'une centaine de morts et des centaines de blessés. Après l'attaque de Skhirat, du ministère de l'Intérieur et de la RTM, les mutins se dirigent vers l'état-major général des Forces armées royales. Mais les forces de l'ordre reprennent rapidement la situation en main. Medbouh meurt au cours d'un règlement de compte avec son complice Ababou. La tentative de coup d'état échoue. Et trois jours plus tard, les principaux responsables de la tuerie de Skhirat sont exécutés  au champ de tir militaire situé au sud de Rabat,devenu actuellement le lotissement  "El Menzah". Les autres sont conduits vers le bagne de Tazmamart.
     

     Voici quelques détails de l'opération :

                            Le 10 juillet 1971, plus de 1000 invités se rendent au palais royal de Skhirat pour célébrer le 42ème anniversaire de Hassan II. Parmi eux des personnalités de tous bords, politiciens, sécuritaires, hommes d’affaires, artistes, etc. La fête est gâchée par… une tentative de coup d’Etat, fomentée par un militaire de 36 ans, le lieutenant-colonel M’hamed Ababou. Bilan de la journée : plus de 500 morts, 8 tonnes de munitions utilisées, des blessés par centaines, 10 condamnations à mort, plusieurs exécutions sommaires, etc. Et une grosse frayeur pour Hassan II, qui a failli y laisser son trône. je vais m'éffocer pour reconstituer les faits, dans le détail, d’une journée exceptionnelle.

                            révélations, des témoignages inédits, des clés pour mieux comprendre la suite : Tazmamart, un nouveau cycle d’années de plomb, et un besoin, le vôtre, le nôtre, de relire une page importante de notre histoire. 24 heures, donc, où tout a failli basculer...

    2 heures du matin. Le clairon sonne plus tôt que d’habitude, à l’école militaire d’Ahermoumou, village planté à 70 kilomètres au sud-est de Fès. En deux temps trois mouvements, les 1200 élèves sous-officiers s’extirpent du lit en tenue de combat. "Depuis deux jours déjà nous étions en état d’alerte, nous devions dormir en uniforme, prêts à partir en mission à tout moment", raconte un ancien d’Ahermoumou, aujourd’hui chauffeur de bus scolaire. La veille, le commandant de l’école, le lieutenant-colonel M’hamed Ababou a regroupé dans la salle d’honneur une trentaine d’officiers et de sous-officiers, pour leur annoncer l’imminence d’un exercice militaire : "Alors voilà, je vous informe qu’une manœuvre de 48 heures aura lieu à Benslimane. Normalement, c’est une autre brigade qui devait effectuer cet exercice, mais j’ai bataillé pour que l’école s’en charge.

    Celui qui se sent incapable de remplir cette mission, je l’en dispense sans rancune aucune". Désireux d’en savoir plus, l’aspirant Mohammed Raïss (auteur de De Skhirat à Tazmamart, Ed. Afrique Orient, 2003) aurait lancé à Ababou : "Mon colonel, en quoi consiste notre mission au juste ?". Réponse de Ababou : "Je n’en sais pas plus que vous, c’est une affaire de généraux. A Rabat, vous trouverez un état-major avancé qui vous donnera votre mission". L’entraînement se réalisera à balles réelles, ajoute Ababou. "Ça en a étonné plus d’un, puisque les manœuvres se font normalement avec des balles à blanc", se rappelle un des élèves sous-officiers. Distribuées la veille, 8 tonnes d’armes sont prêtes à l’utilisation : canons antichars, fusils mitrailleurs, mitraillettes anti-aériennes, grenades, canons 75, pistolets Beretta… "Nous avons même essayé un nouvel arrivage de roquettes américaines sur le champ de tir", poursuit notre source. Soucieux de réussir l’exercice, Ababou supervise, lors de ce training, une démonstration d’embarquement et de débarquement des camions. Chronomètre en main. Ce qui ne manque pas d’éveiller quelques soupçons : "Cette effervescence inhabituelle intrigua le lieutenant Fortaz, médecin français, qui demanda avec un sourire narquois au capitaine Ghalloul : Dites-moi capitaine, j’ai l’impression que vous êtes en train de préparer un coup d’Etat", écrit Raïss. "Oh non, répond alors le capitaine, notre pays est stable"…

    4h00. En quelques minutes, les 1200 militaires de la garnison embarquent dans les 25 camions alignés sur la place d’armes. Des commandos d’une quarantaine d’éléments menés chacun par un officier et un sous-officier. Le convoi s’ébranle. Direction plein sud. Deux jeeps de gradés ouvrent et ferment le défilé de véhicules militaires, s’étalant sur plus de 500 mètres. Après quelques kilomètres au petit pas, sur une route sinueuse, un gradé lance au chauffeur du camion de tête: "Activez ! Nous allons avoir du retard". Réponse du soldat : "Capitaine, ce sont des boujadis, des bleus, ils sont incapables d’aller plus vite". Après le sprint du départ, le temps se fait long. Des cadets en profitent pour terminer leur nuit de sommeil, d’autres, pour jouer aux cartes.

    6h30.[/size] La caravane militaire fait halte dans un hameau, aux abords de Fès. Les soldats profitent de la pause-pipi pour se dégourdir les jambes. Une pause express. Le convoi traverse la ville alors que les premières lueurs du jour pointent à l’horizon. Nationale 1 vers Kénitra pour éviter les encombrements. En route, les bidasses croisent l’équipe locale du MAS, qui joue le jour même une demi-finale de la coupe du trône. "J’étais supporter du MAS, nous raconte, sourire aux lèvres, un sous-officier. J’ai fait un signe de la main à Hazzaz, gardien de l’équipe (et keeper du onze marocain, ndlr), qui m’a salué en retour avec un grand sourire".

    8h15.[/size] Quelques 150 kilomètres plus loin, le convoi décide de prendre un raccourci au niveau de Sidi Kacem. Il déchante vite, la route est bloquée, impossible d’aller plus loin. Le convoi est contraint de rebrousser chemin. La route étroite rend difficile la manœuvre, et retarde d’autant l’objectif de la journée : prendre le palais royal de Skhirat.

    10h00.[/size] Dans la résidence royale donnant sur la plage de Skhirat, on s'active. Un tournoi de golf est organisé, en l’absence de Hassan II, convaincu par le général Melbouh que la compétition l'aurait retardé pour la suite de la cérémonie. Un millier de convives- des hommes pour la plupart, les femmes étant invitées le lendemain- sont attendus, "tenue estivale de détente" exigée, comme mentionné sur le carton d’invitation. L’ambiance est à la fête, on est loin de se douter du projet de putsch.

    A bord de sa Citroën DS, Ababou a décidé de devancer le peloton kaki. Il arrive le premier à Bouknadel, village situé à une quinzaine de kilomètres de Rabat. En civil, chemisette à fleurs et pantalon pattes d’éph, il va à la rencontre de "l’état-major avancé", une poignée de commandants des Forces armées royales (FAR). En attendant sa garnison, Ababou mène sa garde rapprochée en forêt, et explique les véritables raisons de ce raout champêtre : "Mes amis, aujourd’hui c’est l’anniversaire du roi, toutes les personnalités importantes du pays sont invitées au palais de Skhirat. Profitant de cette occasion et de l’effet de surprise, le général Medbouh (directeur de la maison militaire, chargé "d’informer le souverain de toutes les questions relatives à la défense nationale", ndlr) et moi-même avons décidé de faire un coup d’Etat, rapporte Raïss dans son livre. J’attends mes hommes qui arriveront d’un moment à l’autre". Parmi les présents, un certain lieutenant-colonel Abdellah Kadiri, (lire encadré) qui aurait, selon Raïss, lancé à Ababou : "Je crois que tu plaisantes. Un coup d’Etat ça se prépare, ce n’est pas une partie de chasse. D’ailleurs, moi je ne suis pas d’accord. Va faire ton coup, moi je reste ici".

    11h20.Le convoi arrive enfin au point de ralliement : la forêt de la Maâmora. Il fait chaud, très chaud, les soldats dégoulinent de sueur. Ababou donne l’ordre de débarquement, c’est l’heure du casse-croûte. Au menu : boîtes de sardines, barres chocolatées et une bonne ration d’amphétamine. "Les hommes reçoivent, comme à chaque départ en longue manœuvre, une dose de benzédrine. C’est le produit qu’utilisaient pendant les guerres, les commandos anglais pour maintenir leurs nerfs en bon état pendant leurs opérations", raconte Claude Clément, dans Oufkir, (1975, éditions Jean Dullis). M’hamed Ababou, accompagné de son frère aîné Mohamed, rassemble les chefs de commandos. "Il nous demanda de nous approcher de lui et de former un demi-cercle, puis il commença son speech d’une voix calme, rassurante, et d’un sang-froid remarquable", écrit Raïss. "Il s’agit d’encercler deux bâtiments à Skhirat, occupés par des éléments subversifs", lance Ababou, d’après plusieurs témoignages. Une version contredite par les PV de l’époque : "Le lieutenant-colonel Ababou M’hamed nous tint les propos suivants : messieurs, vous êtes des officiers jeunes, vous connaissez tous la condition de l’officier dans notre armée. Le haut commandement a décidé de faire un coup d’Etat, déclare notamment Aziz Binebine lors de l’interrogatoire militaire. Nous devons attaquer le palais de Skhirat. Nous devons intervenir à 13 heures.

    A cette même heure, d’autres unités interviendront dans d’autres villes du royaume". Avec une branche, Ababou dessine un croquis grossier du site à prendre d’assaut. Il explique aux officiers que le convoi doit se diviser en deux unités. La première, qu’il dirigera lui-même, devra investir la zone par la porte sud, tandis que la deuxième, pilotée par son frère Mohamed, pénétrera par la porte nord. "Il faut boucler toutes les issues, faire sortir tous les ressortissants étrangers des rangs et les faire monter dans les camions. Ne laissez personne s’échapper ! Tirez sur les fuyards !", poursuit le colonel. Ababou lance à ses hommes : "Relevez les bâches de vos camions et ordonnez à vos hommes d’engager les chargeurs. Messieurs, jusqu’à Rabat, nous allons nous déplacer dans une zone d’insécurité, préparez-vous à la guerre, vous pouvez disposer !", rapporte Ahmed Marzouki, auteur de Tazmamart Cellule 10 (Ed. Tarik, 2000), un des protagonistes du coup d’Etat. Ababou et ses officiers supérieurs s’arment de mitraillettes, deux chargeurs en poche. Prêts à dégainer…

    13h30.Après avoir traversé Salé, les 1200 soldats, en plus de leurs encadrants, investissent Rabat. Le cortège emprunte le boulevard Hassan II, une des principales artères de la capitale, "sous les regards ébahis de curieux attroupés au bord de la route et sous les hola admiratifs d’enfants du peuple qui imitaient le salut militaire", relate Ahmed Marzouki. Sur la route côtière menant à Skhirat, la circulation dense en ce week-end d’été retarde la machine, engluée dans les embouteillages. "Le convoi a parcouru les 300 kilomètres qui séparent Ahermoumou de la capitale sans jamais être inquiété, sans avoir rencontré ni gendarmes, ni policiers, ni quelque contrôle que ce soit", remarque Aziz Binebine, auteur de Tazmamort (Ed. Delanoel, 2009). En direction de Skhirat, RAS non plus.

    Seuls agents d’autorités croisés?: des motards de la gendarmerie. Ils arrêtent les véhicules civils pour dégager la route aux militaires. Quittant la route principale, les hommes de Ababou accélèrent la cadence, et dépassent bientôt le complexe balnéaire de "l’Amphitrite". Le palais royal est en "visuel".

    13h40.Le roi, qui fête ses 42 ans, accueille ses invités. Toute la famille royale est réunie : le prince Moulay Abdellah est de la partie, mais aussi le prince héritier Sidi Mohamed, alors âgé de huit ans, et Moulay Rachid, qui vient de souffler sa première bougie.

    13h55.Ababou longe la muraille du palais de Skhirat à la tête d’une première unité. En faction devant la porte sud, les éléments de la Garde royale, les gendarmes et les parachutistes n’opposent aucune résistance, si ce n’est de vaines sommations. Les hommes du colonel pénètrent dans le palais sans tirer un seul coup de feu, roulent sur le terrain de golf, en direction de la résidence de Hassan II.

    Arrivé devant la porte principale, Ababou fait signe aux chauffeurs de s’arrêter. Il ordonne à ses troupes de débarquer des camions et de tirer sur toute personne opposant résistance. Les officiers et les sous-officiers répercutent l’injonction aux cadets. "Une fois au sol, ils ont commencé à tirer en l’air, puis dans tous les sens et à lancer des grenades à tort et à travers…", témoigne le capitaine Hamid Bendourou lors des interrogatoires. "Un lieutenant de la gendarmerie surgit, pistolet à la main, et cria à Ababou : mais qu’est-ce que vous faites mon colonel ? Vous êtes ici dans un palais royal, vous n’avez pas le droit d’y entrer sans permission, raconte Ahmed Marzouki. Écarte-toi de là, répondit Ababou menaçant. Non je ne vous laisserai pas entrer, répliqua le lieutenant". Un échange de balles plus tard, le lieutenant de la gendarmerie gît sur le sol, tandis que Ababou s’en tire avec une balle à l’épaule.

    14h00.A l’entrée de la porte nord, l’aîné des Ababou, qui mène la deuxième unité à l’assaut, ordonne à son chauffeur de forcer le barrage, une grosse chaîne métallique. Le convoi s’engage dans le palais, dépasse les dunes de sable adjacentes au green, avant de s’arrêter au niveau des bungalows donnant sur la plage. Les bras écartés, un commandant de la brigade de parachutistes, le commandant Loubaris, tente de stopper l’assaut. "Il s’est mis à marcher en direction du colonel Mohamed Ababou, qui était assis dans sa jeep, et armé de sa mitraillette", se souvient un témoin, présent sur les lieux. Loubaris lance à Ababou frère : "Tu comptes aller où comme ça ? Tu te rends comptes de ce que tu es en train de faire, Inaâl Chitane, arrête tout, maintenant !". Mais le lieutenant-colonel ne l’entend pas de cette oreille, il vise le commandant au niveau du ventre. Loubaris parvient à esquiver le gros de la rafale, mais il est tout de même grièvement blessé. Interrogé après son arrestation, Mohamed Ababou livrera une tout autre version des faits : "Une personne accourt vers moi comme pour m’empoigner, je tire sur elle. J’ai appris par la suite qu’il s’agissait du colonel Loubaris…", peut-on lire sur les PV militaires enregistrés au lendemain de la tentative de putsh.

    14h25.Non loin de la tente caïdale dressée pour le roi, le célèbre joaillier de la place Vendôme, l’héritier Chaumet, discute avec des invités des prix qu’il compte offrir aux vainqueurs du tournoi de golf. Soudain, "on entend des pétarades, on croit à une fantasia surprise, à une idée du prince Abdallah, volontiers farceur", écrit Claude Clément, présente à Skhirat ce samedi 10 juillet. "Ce fut à un moment où je me trouvais en pleine discussion avec des collègues et amis sous une grande tente, non loin de Hassan II, entouré de Bourguiba junior et d’autres personnalités, que nous avons entendu des coups de feu", rapporte Abdelmjid Tazi, chargé de mission auprès du Premier ministre, lors de son témoignage en 2001 devant l’Association des familles des victimes des évènements de Skhirat (AFVES). Tout le monde pensait au début qu’il s’agissait de sport, d’une partie de "tir aux pigeons".

    On s’interroge, mi-surpris mi-étonné : c’est peut-être le feu d’artifice, initialement prévu pour la nuit, un court-circuit ou une mauvaise manipulation, qui a fait partir des fusées ? "M. Perrier, ministre plénipotentiaire français, saigne de la jambe. Il peste contre ces imbéciles qui laissent partir horizontalement, au risque de blesser les passants. Il peste jusqu’au moment où une grenade vient exploser au pied du roi, sans blesser personne. C’est le coup de semonce. L’orchestre égyptien s’enfuit, abandonnant ses instruments", détaille Claude Clément. Certains invités fuient, d’autres continuent de croire à la plaisanterie, et mettent leur club de golf en joue, pour singer les cadets, ou protestent contre les militaires, qui abîment le green en le piétinant.

     Sa Majesté le roi  feu Hassan II reçoit pour son anniversaire plus de mille invités lorsque font irruption deux colonnes de cadets commandés par quelques dizaines d'officiers. Ils tirent sur la foule des invités. Le souverain échappe miraculeusement à la mort

    Il est hâve, mal rasé, taciturne. Sa casquette Bigeard le distingue à peine des dignitaires qui se bousculent derrière le roi. Le général Mohamed Oufkir n'a pas dormi depuis deux nuits. Mais il est venu. Car les quatre généraux qui reposent ce lundi, parmi vingt cercueils d'officiers alignés face à la mer devant Rabat la blanche, étaient ses camarades. Ils ont péri stupidement l'avant-veille, dans la tuerie du palais d'été de Skhirat, qui a failli coûter à Hassan II son trône et peut-être la vie. Sur le drapeau rouge à l'étoile verte qui recouvre chaque bière, le roi, ému, appose les mains. Voilà longtemps que le souverain ne faisait plus confiance qu'à l'armée: il a perdu là, d'un coup, quatre de ses meilleurs soutiens.

    Le roi regarde l'exécution à la jumelle :Mais si le général Oufkir a veillé si tard, c'est qu'il a lui-même interrogé, toute la nuit, les officiers du putsch. Parmi eux, quatre autres généraux. Il les verra fusiller le lendemain, dans les dunes d'un champ de tir précité, tandis que le roi, d'une terrasse, observera leur agonie à la jumelle. Ceux-là aussi étaient des camarades d'Oufkir. Ils étaient sortis des mêmes écoles. Ils avaient servi, parfois ensemble, dans les mêmes unités françaises. Mais le général Oufkir ne montrera aucune émotion, même quand les pelotons s'entendront ordonner de cracher sur les cadavres.

    Epuration :Et, soudain, tout le Maroc a peur. Peur de ce connétable au profil d'aigle, dont la puissance paraît s'enfler à mesure qu'il fait le vide. Il est depuis onze ans grand maître de la police, depuis sept ans ministre de l'Intérieur. Il a muselé les politiciens, décapité la gauche et brisé les émeutes. Et voilà qu'au soir du putsch de Skhirat, le roi, d'un mot, lui donne pleins pouvoirs pour épurer la seule véritable force de droite: l'armée. Du putsch à la répression, celle-ci a perdu, en trois jours, 9 généraux sur 14. L'inquiétude s'installe dans chaque caserne. Livrée à Oufkir au moins pour un temps, l'armée, comme tout le pays, peut se demander quels secrets terribles cachent ses lunettes noires.

    «Oufkir, dit-on, garde à 51 ans les nerfs les plus solides du Maroc.» Cet algérien d'origine dont la famille était éparpllée entre son patelin "Ain Chaier" Bouanane et Boudenib dans la province de Ksar Es Souk (Errachidia actuelle), au seigneurial mépris pour la racaille des villes, est homme de ruse subtile, d'étonnant courage, et de loyautés simples. L'affaire Ben Barka les a simplifiées encore.

    Insouciant de politique comme de droit, Oufkir était passé, directement, du lycée à l'armée - française. Il a, presque toute sa vie, identifié le Maroc à la France. La France pouvait lui demander n'importe quoi: de porter ses couleurs à Rome quand, en juin 1944, la I're armée y entrait dans l'éclatante fanfare de ses tabors. D'aller se battre en Indochine. De convaincre, en 1955, le sultan fantoche Ben Arafat de rendre son trône au roi Mohammed V, de retour d'exil pour proclamer l'indépendance de son pays. Oufkir, l'homme aux fidélités sans frontières, semble n'avoir jamais bien compris pourquoi le général de Gaules le laissait condamner " in absentia " à la prison à vie, en 1966, pour avoir, avec l'aide des services français, supprimé l'adversaire le plus redoutable de la monarchie marocaine: Mehdi Ben Barka, chef de la gauche, dont les projets de «république populaire Marocaine» ne pouvaient, aux yeux d'Oufkir, faire l'affaire de personne.

    Effervescence : La France le rejetait. Restait le Maroc. Et le roi: pour Oufkir, c'est la même chose. Le roi, seul, peut tout exiger de lui: d'écraser sous le napalm, comme en 1958, les rebelles berbères du Rif. D'ouvrir le feu, comme en mars 1965, sur la «racaille»: les étudiants et les chômeurs de Casablanca, dont l'effervescence menaçait d'embraser tout le Maroc. D'interroger lui-même, sous la torture, les meneurs de gauche accusés de complot avec la complicité de l'Algérie, comme en 1963, comme en 1971 à Marrakech. De fusiller, comme mardi, ses camarades berbères de l'armée royale: entre «roi» et «nation», ceux-là commencent à voir une différence.

    Trente et un ans après la tentative de putsch sanglante de Skhirat Jawad Kerdoudi, rescapé de ces douloureux événements,Soldats impliqués dans la mutinerie de juillet 1971 contre feu Hassan II au Palais de Skhirat Dans un récit passionnant, il relate l'attaque du Palais de Skhirat par des éléments des FAR (Forces Armées Royales) le 10 juillet 1971.

    Le soir avant le jour de l’invitation, je suis retourné à mon appartement qui se situait juste en face de l’OCE (30 Rue Sidi Belyout) où mes parents se trouvaient, pour quelques jours de repos.
    Je leur annonçai joyeusement l’invitation du Roi, tout fier de Sa Sollicitude à l’égard des jeunes cadres de notre pays (j’avais alors vingt-neuf ans, et toujours célibataire).
    Mon père était quelque peu surpris de l’incitation à nous présenter à cette fête Royale, en tenue de sport. Il ne pouvait imaginer qu’on puisse se présenter dans cette tenue, devant le ROI. Je lui expliquai que c’était la fête de la Jeunesse, et que tout le monde devait se présenter en tenue non officielle, même les Ministres et les Militaires.

    Palais : La nuit du 9 Juillet 1971, j’étais tout excité par l’invitation royale, et ne dormis que peu. Le 10 juillet 1971 à 10H00, mon jeune frère me conduisit à SKHIRAT, devant se rendre de Casablanca à Rabat. J’étais habillé comme l’avait exigé le Protocole Royal, d’une petite chemise à manches courtes, et un pantalon bleu ciel. J’avais comme seul document dans ma poche, mon permis de conduire.
    À l’entrée du Palais de SKHIRAT à 11H00, j’ai montré l’invitation à quelques membres du Service de Sécurité, qui me montrèrent le chemin du Palais. Quelques soldats de la Garde Royale, et des F.A.R. montaient la garde.
    En me dirigeant vers le Palais, je remarquai un Golf, où quelques joueurs tiraient des balles, des stands de tir aux pigeons, et des wagons sur des rails, aménagés en salons de repos. Je me suis dirigé vers le Palais et m’imaginai un lieu magnifique et somptueux, digne des Mille et une Nuits. En fait, le Palais de SKHIRAT était très simple, et plus fonctionnel que luxueux. Une large baie vitrée séparait la piscine de la mer, une grande tente caïdale était plantée aux abords de la piscine, une grande salle de réception où le ROI recevait ses visiteurs, et des appartements privés qui étaient inaccessibles.
    Je rencontrai au bord de la piscine quelques amis qui devaient vivre avec moi cette pénible aventure. Comme l’avait précisé le Protocole Royal, le millier d’invités, tous hommes, qui étaient présents à SKHIRAT, étaient en tenue de sport : chemise et pantalon sport.
    Il était très difficile de reconnaître les grandes personnalités en tenue de sport, car on avait toujours l’habitude de les voir à la télévision, en costume de ville, ou en tenue militaire.
    Tout autour de la piscine, était disposé un buffet somptueux avec des mets délicats, et des boissons de toutes origines.
    Un orchestre, près de la tente caïdale jouait des morceaux de musique, qui donnait un caractère joyeux à la fête.

    Beauté : Les invités étaient dessiminés autour de la piscine, près de la tente caïdale, sur le Golf, et même à la plage, qui se trouvait en contrebas de la baie vitrée.
    Je discutais joyeusement avec mes amis. Notre discussion n’avait aucun caractère sérieux, et portait sur la beauté du buffet, la couleur bleue immaculée de la piscine, et le bruit au large des vagues sur la plage.
    Nous étions visiblement heureux d’être dans cet endroit exceptionnel et parmi des invités de marque aussi bien marocains qu’étrangers.
    Vers 13H00, les invités commençaient à se rapprocher des buffets qui entouraient la piscine, et attendaient le signal des responsables pour se servir.
    Aucun protocole particulier n’était prévu, à notre connaissance, pour le choix des tables. Aussi, je me suis assis avec mes amis, près de la grande tente dressée devant le Palais, à côté de l’orchestre, habillé d’habits de couleur rouge, et qui continuait à jouer une belle musique entraînante.
    Nous apercevions de notre place à quelque deux cents mètres, S.M le Roi Hassan II, qui était assis, seul, dans une table sous la tente. Nous nous sommes servis au buffet, et commencions à manger. Il faut préciser que de là où nous étions assis, nous ne pouvions pas voir l’entrée du Palais; car un mur nous barrait la vue, et une petite porte fermée était aménagée pour le passage à travers le mur.
    Soudain, nous entendîmes quelques coups de feu. Je me tournais vers mes amis pour leur demander «qu’est ce que c’est que ces coups de feu»? L’un deux répondit: «Ne t’inquiète pas, ça doit être des coups de feu provenant des stands de tir aux pigeons».
    Les coups de feu devinrent plus fréquents, et les détonations plus fortes. Comme je l’ai déjà expliqué, nous ne voyions rien, car la vue était barrée par le mur.
    Tout à coup, un mokhzani avec sa Djellaba toute blanche s’écroula, frappé d’une balle, et sa Djellaba fut maculée immédiatement de sang rouge. Quelqu’un de haut placé, certainement une personnalité importante, s’approcha du Mokhzani et s’écria “Qu’est ce qui arrive là ?” Les coups de feu et les détonations s’intensifièrent encore plus. La panique s’empara des invités, car on voyait de plus en plus de personnes blessées, et qui perdaient leur sang.

    Courage : Deux réactions se présentaient aux invités qui ne voyaient pas ce qui se passait. La première consistait à passer par la petite porte, pour gagner le parking de voitures, et fuir. Cette réaction fut fatale, car les mutins ayant franchi la porte d’entrée du Palais, tiraient dans tous les sens, et s’approchaient du Palais.
    La deuxième réaction fut de fuir vers la mer, en brisant la baie vitrée. J’avoue que je n’ai pas réfléchi pour emprunter cette seconde voie. C’est peut-être tout simplement l’instinct, ou la chance.
    Arrivé sur la plage, j’ai d’abord voulu fuir en nageant dans le large. J’ai donc plongé, et nagé quelques minutes, quand j’aperçus au loin des vedettes militaires qui barraient le passage.
    Je suis donc retourné vers la plage, et essayais de fuir vers la plage Amphitrite. Malheureusement, les mutins avaient encerclé le Palais, à l’est et à l’ouest, et empêchaient les invités de fuir. Ils lançaient pour cela des grenades, dont une a explosé à quelques mètres de moi, sans m’atteindre. Quelques soldats se détachèrent de leur groupe et nous intimèrent l’ordre de regagner le Palais à coup de crosse, mais sans tirer, en vociférant: «salauds, remontez au Palais». Je suis remonté donc vers le Palais au milieu des invités, qui se tiraient les uns les autres par les habits, pour se placer au milieu des groupes, afin d’éviter d’éventuelles balles perdues. Je ressentais à ce moment là, la force extraordinaire de l’être humain, et son égoïsme pour assurer sa survie, lorsqu’il est en danger.
    Le spectacle autour du Palais était affreux: des blessés gémissaient sans qu’aucun secours ne leur fut apporté, perdant leur sang à profusion. Des cadavres flottaient dans la piscine, dans l’indifférence générale.

    Egoïsme : La tuerie a duré au moins une bonne heure, à la suite de laquelle le feu cessa aux environs de 15H00. Sous la menace des armes, nous avons marché en dehors du Palais, à proximité du Golf, où on nous a ordonné de nous coucher, face contre terre, et mains derrière le dos.
    Ce fut pour moi un moment de répit, où j’ai commencé à réfléchir. Tout d’abord, je ne comprenais pas que des soldats en uniforme nous tiraient dessus, alors que nous étions les invités du Roi. Cette incompréhension dura jusqu’à ce que j’entendis «Vive l’Armée du Peuple». C’est à ce moment là que je compris qu’il s’agissait d’un complot de l’Armée contre le régime royal.
    J’ai vu le visage de certains soldats, qui étaient très jeunes, et dont les yeux étaient exorbités et injectés de sang (peut-être sous l’effet de la drogue).
    J’entendis aussi de loin, mais sans que je puisse discerner les noms, l’appel des mutins à des officiers, dont certains avaient le courage de se lever, et qui furent certainement exécutés sur place. Car, je ne voyais pas les exécutions, mais entendais les détonations. Le comportement des invités autour de moi était diversifié: certains tremblaient de tout leur corps, d’autres priaient à voix basse, d’autres enfin restèrent calmes. Je suis resté moi-même très calme, je ne sais pour quelle raison, peut-être que j’étais inconscient du danger de mort que je courais.
    Soudain, quelques hélicoptères couvrirent le ciel, tournoyant autour du Palais. Je me suis dit que c’est peut-être l’Armée, fidèle au Roi, qui venait de Rabat, pour mater l’insurrection.
    A ce moment là, j’ai eu très peur, en pensant que nous allions nous trouver, nous les invités, au milieu d’un combat terrible entre l’Armée fidèle du Roi et les mutins. Soudain, les soldats qui nous gardaient, ont commencé à nous relever, à nous conforter par des mots aimables, et nous donner de l’eau à boire.
    J’ai vu le Général Oufkir que j’avais reconnu, demander à un soldat de lui remettre sa vareuse, qu’il endossa sur sa chemise de sport; et il commença à donner des ordres, et à prendre la situation en mains.
    Je ne comprenais encore rien à ce qui se passait, et sans perdre de temps, rejoignis le parking, où un invité, que je ne connaissais pas, m’a ramené à Casablanca. En cours de chemin pour rejoindre le parking, j’ai vu à nouveau le spectacle affreux des morts et des blessés.

    Regardez le sort des comploteurs, ils payeront de leurs vies..........................!http://youtu.be/rnbjFD_aESw

                                                           Cordialement,Chihab-25